Sur la trace du crime, Rogue Cop, Roy Rowland, 1954
Roy Rowland est un peu plus qu’un yes man. Certes il a touché à tous les genres, de la comédie au western, du film noir au film fantastique. Il était devenu au fil du temps un metteur en scène pour des budgets importants, et s’il n’était pas particulièrement attaché à un studio, il a beaucoup travaillé pour la MGM. Il a fait deux films avec Robert Taylor qui à l’époque était une immense vedette sur laquelle on bâtissait le financement d’un film. Plutôt habitué à des rôles de gentleman droit dans ses bottes, Robert Taylor va chercher vers le milieu des années cinquante à s’émanciper de cette imagerie un peu trop lisse, et ce sera très réussi avec Rogue Cop où il trouve un rôle à contre-emploi.
Le roman de William P. McGivern à l’origine du film
Les romans de William P. McGivern ont souvent donné de
sujets pour le cinéma, Big Heat de Fritz Lang, Odds
against tommorow de Robert Wise ou encore Hell on Frisco Bay de
Frank Tuttle. Rogue cop est excellent également. Généralement
les romans de McGivern parlent essentiellement de la vie quotidienne des
policiers, sans rien omettre de leurs tendances à transgresser la loi. On
aurait du mal à voir dans ses ouvrages une apologie de la morale ordinaire. Le
scénario est dû à Sydney Boehm qui avait déjà adapté justement Big
Heat, et qui ensuite travaillera sur le scénario de Hell on
Frisco Bay. Familier des romans de McGivern, il a un goût prononcé
pour les scénarios mettant en scène la violence débridée. Scénariste de premier
plan il a aussi travaillé pour Raoul Walsh. Il adaptera George Simenon pour
Hathaway en signant le scénario de Le fonds de la bouteille. Comme
le titre l’indique, il s’agit d’un flic qui marche avec des voyous. Sans
scrupules, cynique, il profite de ses relations pour vivre sur un train élevé.
Son jeune frère est également flic, mais à l’inverse, il se contente d’une
petite vie bien honnête. Tout va basculer quand ce dernier arrête un voyou de
piètre envergure, Fallon, qui a assassiné un dealer qui vendait des doses sur
son territoire. En effet le jeune Eddie identifie assez facilement le tueur.
Mais son frère, Chris, reçoit l’ordre de la part des voyous qui le payent de
pousser son frère à innocenter Fallon. Or Eddie est du genre têtu et
incorruptible. Après de nombreuses menaces Beaumonte et Ackerman font
assassiner Eddie. Chris va vouloir le venger et va se débrouiller pour les
éliminer. Il réussira et retrouvera le droit chemin. Si ce n’est la fin un peu
convenue et assez invraisemblable, l’ensemble est solide et violent, cynique et
inquiétant comme il se doit dans un film noir qui porte le désespoir à fleur de
peau. Tous les personnages sont marqués par la vie, les femmes comme les
hommes. Aucun ne peut prétendre incarner la rigueur morale, si ce n’est
peut-être Eddie et encore on a l’impression que cette morale derrière laquelle
il se cache est une manière de s’émanciper de son aîné.
Le commissariat
Incarné par un Robert Taylor vieillissant et marqué, Chris est un flic solitaire et blasé qui connait et utilise toutes les ficelles que la corruption peut lui permettre de tirer. Il est violent et méchant, sait se faire respecter même des truands qui en ont peur. C’est un film de brutes. Il faut voir comme la pauvre Anne Francis se fait traiter par George Raft ! Mais on ne saurait reprocher le réalisme crasseux à un film de gangsters et de flics pourris. Néanmoins, Chris n’est pas seulement un flic cynique et corrompu, il a aussi une conscience et un cœur. Il est ému par le sort de Nancy, la maîtresse de Beaumonte, et la mort de son frère lui fait prendre conscience de la vacuité de son existence de flic sans morale.
Les policiers jouent aux cartes
Les deux héroïnes manifestent la même ambiguïté. Nancy
est la maitresse de Beaumonte parce qu’ainsi elle n’a plus de soucis d’argent,
mais en même temps elle boit et elle se pose des questions pour savoir s’il a
aussi un peu d’amour pour elle. Karen sort avec le frère de Chris, mais elle
avoue ne pas l’aimer, ne comprend même pas qu’il veuille l’épouser. Pour
autant, elle va chercher à aider Chris contre Beaumonte. Finalement dans ce jeu
de dominos ou tout le monde se méfie de tout le monde, les seuls personnages
entiers sont les flics moralisateurs qui ne veulent pas entendre parler des
méthodes et de la vie de Chris, le pasteur assez hermétique à toute forme de
compassion et bien sûr les gangsters qui s’enferment dans une vision assez
bornée des rapports de force et qui ne peuvent imaginer de revenir en arrière
sur ce qu’ils ont décidé. Et même si Chris n’apparaît pas très sympathique, il
a une mobilité d’esprit et une souplesse dans le comportement qui le rend
finalement plus humain que les institutions – le gang, la police ou l’Eglise – qui
le condamnent.
Les marchands de journaux sont un vaste réseau d’indicateurs
Toutes ces bonnes intentions ne suffiraient pas à faire
de Rogue cop un très bon film si la manière de filmer restait
plate et médiocre. Ce n’est pas le cas ici. Certes certaines scènes de rue
manquent manifestement de moyens et sentent un peu trop le décor de studio,
mais l’ensemble est très bien filmé, avec des idées nombreuses et variées. Par
exemple la confrontation de Chris avec les truands est tournée en plans
d’ensemble qui font apparaître Robert Taylor plus petit qu’il n’est, mais qui
donnent un relief inattendu à des scènes somme toute assez traditionnelles dans
ce genre de film. Il faut dire que la photographie est due à John F. Seitz, un
des grands spécialistes du film noir qui a travaillé avec Billy Wilder, John
Farrow ou encore Nicholas Ray. Il trouve des angles inattendus comme dans cette
manière de photographier l’étal de la marchande de journaux qui sert
d’indicatrice à Chris, ou encore la manière de filmer la violente bagarre de
Chris avec le garde du corps de Beaumonte.
Chris cherche à utiliser Karen pour sauver son frère
Comme on l’a laissé entendre, les acteurs sont très bons.
Bien sûr en tête on place Robert Taylor. C’est un acteur en général assez
monolithique – surtout quand il joue avec une moustache ! – mais il fait
passer ici des changements de sentiments et d’attitude assez remarquables. Il
est excellent, et c’est même selon moi un de ses meilleurs rôles. Peut-être
parce qu’il n’avait guère l’habitude de jouer les canailles. Même George Raft
est très bien. Lui aussi laisse pour une fois transparaître ses émotions. Si
Janet Leigh porte bien le costume de la blonde froide et en voie de rachat,
elle est pourtant moins remarquable qu’Anne Francis dans le costume pathétique
de Nancy, pauvre petite fille perdue.
Chris manifeste de la sympathie à la pauvre Nancy
Sans être un des chefs-d’œuvre du film noir, Rogue
cop se trouve dans le haut du panier tout de même, à cause de son
rythme soutenu, mais aussi de son esthétique parfaitement assimilée. Malheureusement
ce film qui possède une superbe photographie est très difficile à trouver. Il
n’existe pas sur le marché du numérique, c’est un tort. C’est impossible d’en
trouver une bonne copie même en y mettant le prix. Sans doute la MGM a fait une
croix malvenue sur un de ses acteurs qui participa à sa renommée et à sa
richesse.
Chris veut piéger Beaumonte
et Ackerman
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