Pauline Kael, Écrits sur le cinéma, Sonatine, 2024.

 


Pauline Kael avait beaucoup de qualités. D’abord elle remettait à sa place, c’est-à-dire tout en bas, à la fois Stanley Kubrick et Clint Eastwood dont elle trouvait fort justement les films répugnants. Elle osait dire que des films multi-récompensés comme Lawrence of Arabia, 2001 : A Space Odissey ou Doctor Zhivago, ce n’était rien que de la daube. Ce n’est pas tant qu’elle en avait après les films populaires ou qui faisaient des grosses recettes. Elle détestait les boursouflures comme La Dolce Vita, ou le prétentieux et creux L’année dernière à Marienbad. Une telle femme qui avouait que son film préféré était Millions Dollars Legs de W.C. Fields ne peut pas être complètement mauvaise ! Sonatine avait publié plusieurs ouvrages qui rassemblaient une partie de ses chroniques. En voici un nouveau. Et celui-là est massif ! Plus de mille pages ! Sans être toujours d’accord avec elle, j’aimais bien la façon dont elle décortique le sens au-delà d’une histoire, dans l’écriture cinématographique. Le ton employé par Pauline Kael est roboratif, elle n’est pas du genre à trouver bon tout ce que fait un réalisateur renommé, comme aujourd’hui quand on voit que n'importe quelle merdouille de Clint Eastwood ou Martin Scorsese est encensé comme une sorte de chef d’œuvre. Tarantino qui n’est pas un bon cinéaste, mais qui aime un certain cinéma en disait tout à fait du bien. 


Jules et Jim, François Truffaut, 1962 

Si elle n’est guère tendre avec Antonioni ou même le Fellini de La dolce vita, elle trouve, contrairement à moi, les cinéastes de la Nouvelle Vague, Godard – mais pas Pierrot le fou – ou François Truffaut, notamment Jules et Jim, tout à fait à son goût. Pour ce dernier film elle en apprécie le coté littéraire représenté par une voix off qui lit des commentaires pour expliquer au spectateur ce qu’il doit comprendre. Mais elle n’aime pas La mariée était en noir, et elle a raison ! Exactement ce que je n’aime pas. Elle semble penser que les réalisateurs français sont plus intéressants que leurs homologues américains, ce qui reste discutable parce que ça dépend des époques. Il est vrai que les années soixante n’étaient pas favorables à la création outre-Atlantique, encore que le Shadows de Casavetes n’a rien à envier à la Nouvelle Vague en manière de déconstruction des codes. Mais dans les années soixante-dix le cinéma étatsunien avait retrouvé une grande forme, au moins jusqu’à ce qu’arrive sur le marché le curieux personnage de Sylvester Stallone puis les stupidités du type Star Wars qui vide le spectateur de toute conscience en l’invitant à manger du pop-corn et le renvoie dans les limbes de la petite enfance. Depuis les choses ont toujours empiré, même si bien entendu, on trouvera toujours ici et là des exceptions qui confirment la règle.   

La honte, Ingmar Bergman, 1968 

Elle possède une cinéphilie centrée sur les années soixante, même si elle connait assez bien l’histoire du cinéma. Et parmi les réalisateurs qu’elle considère comme indispensable, on va retrouver l’iconoclaste Luis Buñuel, dont elle semble préférer la carrière mexicaine aux boursouflures produites en France, elle a bien raison. Parce que Buñuel en dehors de Tristana n’a rien fait de bon dans notre pays. Parmi les autres réalisateurs incontournables, Pauline Kael désigne Ingmar Bergman qui, en effet, est certainement un des cinéastes les plus profonds. En tous les cas, comme la plupart des réalisateurs qu’elle célèbre, ce sont des réalisateurs – à part Truffaut – qui ont un style, c’est-à-dire dont on reconnait la signature à la vision d’un simple plan ou d’une petite séquence. Sa cinéphilie s’est construite sérieusement, comme pour beaucoup dans les années soixante, donc dans l’idée que les réalisateurs étaient les auteurs. Théorie qu’elle récuse, donnant de la place aussi bien à l’écriture du scénario qu’à la, photographie ou encore aux acteurs. Elle divise les films en deux catégories, d’un côté les œuvres d’art, de l’autre les œuvres de distraction. Mais parmi l’œuvre des grands auteurs, elle s’autorise à trier pour Bergman elle retiendra plutôt La honte que Cris et chuchotements qu’elle désigne fort justement comme un film rouge, et qui pourtant fut un grand succès pour ce cinéaste difficile. Si elle n’aime pas Visconti dans ce qu’il est devenu après son éloignement du néoréalisme, elle ne déteste pas pour autant les films distrayants. Ce devoir d’inventaire comme on dit, s’appuie sur une plume alerte et assez précise qui pointe avec beaucoup de facilité les petites ficelles des grands auteurs. 

Cris et chuchotements, Ingmar Bergman, 1972 

Elle n’a pas un intérêt particulier pour les films de genre. Mais là elle ne comprend pas une chose fondamentale, c’est qu’à travers les standards d’un genre, il y a tout ce qui échappe à la maitrise du réalisateur. Elle encense par exemple le mauvais film d’Arthur Penn, Bonnie and Clyde, lui décernant le titre de film de l’année et le désignant comme un tournant dans la manière de filmer. Elle le compare à The Bonnie Parker Story de William Whitney qu’elle n’a pas compris, parce qu’au-delà de son caractère assez brut dans la réalisation, ce film met en scène une femme enragée, incarnée par Dorothy Provine, et dont les formes opulentes la désignent comme une guerrière en rébellion ouverte contre la société. Ces controverses sur la qualité ou non d’un film sont le résultat de ce qu’on comprend en les regardant. Or ce regard dépend de nombreux paramètres, bien sûr de la culture du spectateur, mais aussi de l’ambiance générale dans laquelle on baigne. Les films sur la guerre du Vietnam sont d’abord le résultat de la défaite des Américains. Et les spectateurs américains l’ont bien compris. Mais peu importe tout cela, les chroniques de Pauline Kael, sont très longues et très argumentées. Si la principale traite du cinéma étatsunien, elle a une connaissance des autres cinématographies, notamment celle de l’Italie et de la France. 

Mean Streets, Martin Scorsese, 1973 

Elle suivra l’émergence d’un nouveau cinéma dans les années soixante-dix, d’abord sans trop y croire, mais ensuite repérant l’importance de Martin Scorsese et de Mean Streets, elle expliquera comment Robert De Niro dans le rôle de Sonny boy, va voler la vedette à Harvey Keitel qui, dans le rôle de Charlie est censé avoir le premier rôle. Si au début des années soixante-dix, elle trouvait le cinéma américain décadent et un peu mort, elle finira par reconnaitre qu’il va vraiment renouveler l’approche de cette discipline. À lire ces chroniques, qu’on soit ou non d’accord avec elle, on s’immerge dans l’histoire récente du 7ème Art. ce n’est pas tant qu’on apprenne quoi que ce soit de neuf sur la question, mais cela nous aide à réfléchir et à nous positionner sur notre propre cinéphilie. D’ailleurs dans ce recueil de chroniques, si le principal reste le commentaire qu’elle fait du cinéma au gré des sorties, il y en a qui posent directement la question du plaisir qu’on peut prendre enfermé dans une salle obscure, prisonnier des images, l’esprit passif et réceptif à ces images animées qui défilent devant nous et qui sont notre seule source de lumière, ce qui fait que nous sommes aspirés à l’intérieur de l’écran, et bien sûr quand notre corps se rebelle contre cet emprisonnement, c’est que le film est vraiment mauvais !   

Killer Elite, Sam Peckinpah, 1975 

Elle adorait Peckinpah, sauf Bring Me the Head of Alfredo Garcia, et elle considère que Killer Elite est un très bon film, avis que je partage entièrement. A travers le portrait qu’elle dresse du réalisateur, elle le désigne comme un rebelle à la logique des studios, bien évidemment parce qu’elle considère à raison que des financiers ne sont pas capable de comprendre le cinéma autrement qu’à ytravers le prisme de leur ignorance. On voit qu’à cette époque, le cinéma américain est bouillonnant, Taxi Driver de Scorsese qu’elle encense, la deuxième partie de The Godfather, ou encore The Wild Bunch de Peckinpah. Mais pour elle dans le nouvel Hollywood, tout n’est pas de la même qualité, elle n’est pas tendre avec George Lukacs ou même avec Spielberg. Ajoutons à cela qu’elle suit de près le cinéma italien et français, si elle loue le cinéma de genre italien pour ses capacités techniques, elle n’est guère tendre pour les chichiteux films de Visconti ou d’Antonioni. Elle n’est pas l’ami du cinéma de Sautet non plus, elle descend Vincent, François, Paul et les autres comme s’il s’agissait à peine d’un exercice de style qui ne sait pas ce qu’il cherche à démontrer. 

Ici avec le regretté Jacques Perrin au Festival de Cannes en 1977 

Une des questions importantes que pose Paulien Kael, c’est la suivante : au fur et à mesure que notre connaissance du cinéma s’enrichit, notre exigence n’est plus la même. C’est pourquoi on ne peut pas blâmer les « jeunes » d’apprécier la dernière version du Comte de Monte Cristo, ils n’en connaissent pas d’autres et n’ont pas lu le roman. Par contre on peut critiquer vertement les réalisateurs d’avoir livré un tel produit[1]. D’un autre coté il vient que de passer son temps à regarder et critiquer des films, c’est sans doute aussi s’éloigner un peu de la vie réelle. Il est assez remarquable que le prestigieux magazine, The New Yorker lui ait laissé pendant de si longues années une parfaite liberté de ton. Ça tranche d’avec les critiques qui sont plutôt promotionnelles, ou avec celles qui ont envahi maintenant les magazines de cinéma (Positif, Les cahiers du cinéma) qui ressemble à des dissertations, à la fin on ne sait pas si le film a plu, ou si on l’a détesté. Et comme je l’ai dit plus haut nous n’avons pas besoin d’être en accord parfait avec Pauline Kael pour apprécier ses chroniques. Il y a une liberté de ton et une absence de pédantisme qui nous satisfont pleinement.  



[1] http://alexandreclement.eklablog.com/mathieu-delaporte-alexandre-de-la-patelliere-le-comte-de-monte-cristo--a216362523

Commentaires

  1. elle était nulle, pas étonnant que ce tâcheron de Tarantino se réclame d'elle.

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  2. Bon elle avait des défauts, elle aimait bien Godard, mais elle avait une sorte de franc parler assez réjouissant, la façon dont elle démonte Kubrick, Antonioni ou Fellini est intéressante ! Au moins elle ne prenait pas pour un chef-d'œuvre n'importe quelle œuvrette d'un réalisateur considéré comme grand

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