La maison du lac, On Golden Pond, Mark Rydell, 1982

Ce film a été un énorme succès au début des années 80. Au box-office étatsunien, il s’est classé troisième derrière Rocky et E.T. de Steven Spielberg. Étant donné le thème et les acteurs principaux, ce fut un peu une surprise. Ce succès est d’autant plus étonnant qu’il s’agissait d’une adaptation cinématographique d’une pièce de théâtre, ce qui donne le plus souvent quelque chose de très bavard. Certes Henry Fonda et Katharine Hepburn étaient des acteurs célèbres, avec un passé très lourd, mais ils ne faisaient plus grand-chose depuis longtemps. On Golden Pond est tout de même tiré d’une pièce à succès d’Ernest Thompson. Ce dernier l’a écrite à l’âge de 28 ans, et rapidement, en 1979, elle connut le succès. Il est originaire de la région où le film a été tourné, et il achètera une maison non loin de ce lac magnifique qui joue un rôle décisif. C’est une pièce qui est toujours jouée aujourd’hui et qui a donné lieu en 2001 à une diffusion de la pièce à la télévision avec dans les rôles principaux Julie Andrews et Christopher Plummer. Je ne sais pas si cela a joué un rôle décisif dans le succès du film, mais la légende veut que Jane Fonda ait acheté les droits d’adaptation cinématographique de la pièce pour l’offrir à son père avec qui elle était en très mauvais termes. Peut-être est-ce un peu cela qui donne un parfum d’authenticité à ce film. En outre Henry Fonda qui d’origine italienne lointaine, est issu d’une famille qui immigra au XVIIème siècle dans la Nouvelle Angleterre où le film se déroule, et où elle établit le village de Fonda ! Le réalisateur Mark Rydell n’a pas une grande réputation, cinéaste éclectique, il a tout de même réussi à faire quelques bons succès. Il avait beaucoup travaillé pour la télévision, puis, malgré son échec commercial, il s‘était fait remarquer avec Reivers, un film voulu par Steve McQueen, adapté de William Faulkner. The Cowboys avec John Wayne rapporta pas mal d’argent, mais son triomphe critique et commercial, avant On Golden Pond, ce fut The Rose, l’histoire d’une star de la pop music accrochée à l’alcool. L’énorme succès de On Golden Pond l’amènera vers une grosse production, The River, avec Mel Gibson et Sissy Spacek. Une autre histoire d’un couple qui doit se battre contre l’eau d’une rivière qui menace de tout emporter. Encore une histoire d’eau ! Mais ce couple doit aussi se battre contre la banque qui menace de saisir leur ferme.


Norman et Ethel Thayer rejoignent comme toutes les années leur maison de campagne pour y passer l’été. Norman va avoir bientôt quatre-vingts ans et Ethel est un petit peu plus jeune que lui. Ancien professeur d’université, il est plutôt bougon et il s’ennuie énormément. Norman a des problèmes de mémoire, déprimé il se sent vieux. Ethel le tire comme elle peut, l’emmenant faire du bateau, essayant de le distraire. Un jour ils reçoivent une lettre de Chelsea, leur fille, qu’ils n’ont pas vue depuis des années. Elle veut venir les voir pour l’anniversaire de son père. Ethel pense que ce sera une occasion de réconciliation pour eux, mais aussi de redonner un peu de vie à Norman. Chelsea arrive avec son nouveau compagnon, Billy Ray, et le fils de celui-ci, 13 ans, Billy Ray Jr. D’emblée les relations entre Norman et Billy Ray sont plutôt froides, Norman le snobant, alors que son invité tente de se faire apprécier de lui. Billy Ray est dentiste, ce qui n’est pas trop du goût de Norman. Chelsea pense cependant que son père ne l’aime pas beaucoup. Mais elle désire partir avec Billy Ray en Europe, Bruxelles, et laisser le fils de son compagnon à la garde de ses parents. Ce que Ethel accepte tout de suite. Ils fêtent ensuite l’anniversaire de Norman, puis le couple d’en va. Billy Ray jr n’est pas très content de rester tout seul avec ces deux personnes âgées.

Norman regarde une photo de sa jeunesse

Mais Norman va s’occuper de lui, lui apprendre à pécher, et finalement ils vont bien s’entendre pour la plus grande joie d’Ethel. Ils vont même faire des imprudences, en s’égarant sur le lac dans une passe dangereuse. Le bateau s’échoue et ils se retrouvent dans l’eau. Ils seront sauvés par Ethel qui va chercher de l’aide pour les retrouver à la nuit tombante agrippés à un rocher. Chelsea va revenir et récupérer Billy Ray Jr. Entre temps elle s’est mariée à Bruxelles avec son compagnon de dentiste. Elle reprend cependant ses récriminations contre son père, mais Ethel l’engueule en lui expliquant que Norman est maintenant un vieil homme et qu’il n’a pas besoin de querelles supplémentaires avec sa propre fille. Cela va déclencher un changement d’attitude de la part de Chelsea qui va faire aussi son mea culpa auprès de son père et se réconcilier avec lui. Ils vont bientôt partir, c’est la fin de l’été. Tout le monde est un peu triste de se séparer, Billy Ray Jr aussi qui avait apprécié ses parties de pèche avec Norman. Chelsea a cependant promis de revenir voir ses parents un peu plus souvent. Peu après Norman et Ethel se prépare à retourner en ville, mais tandis qu’ils chargent leurs affaires dans leur voiture, Norman a une attaque. Ethel se précipite pour lui donner ses médicaments. Il sera sauvé, et Ethel conclura à l’inexorable destinée humaine qui inévitablement séparera les personnes qui se sont aimées.

Ethel entraine Norman sur le lac

C’est un film sans drame, sans qu’il ne se passe rien, mais qui est émouvant par ce qu’il touche en nous. La vieillesse est évidemment un drame que tout le monde affrontera un jour ou l’autre dans sa vie, à moins que de disparaitre avant, à la fleur de l’âge, ce qui explique d’ailleurs l’importance des jeunes suicidés ou non qui s’en vont avant l’heure. La gloire post mortem de James Dean a reposé aussi bien sur son talent indéniable d’acteur, que sur ce qui a été compris comme un refus de ne pas vieillir. On pourrait dire d’ailleurs que c’est aussi ce qu’il y a d’émouvant dans les films de guerre qui mettent par la force des choses en scène de très jeunes gens, parfois pas tout à fait finis. Qu’est-ce que la vieillesse ? C’est bien évidemment cette évidence que le corps se défait peu à peu, ne répond plus aux sollicitations comme avant. Norman perd la mémoire, il n’a plus beaucoup de force et doit s’appuyer sur sa femme pour toutes taches de la vie quotidienne. C’est le moment où il passe le relais en quelque sorte. Il abdique son pouvoir de mâle au profit de sa femme, mais aussi son pouvoir de patriarche au profit du jeune Billy Ray jr qui le sauvera de la noyade. Mais il y a autre chose, c’est qu’en fait Norman s’ennuie. D’après ce qu’on comprend il fut un professeur brillant que la retraite a poussé à l’écart de ces jeux intellectuels qui lui donnaient une force morale respectée et respectable. Et s’il est plus touché par cet isolement que sa femme, c’est parce qu’il a tenu pendant de longues années un rôle social de haut niveau.

Ils vont chercher de l’essence pour leur bateau

C’est là un point important qui dépasse la mise en évidence de la simple difficulté de vieillir. Elle fait apparaitre toute la vacuité de la vie sociale aussi brillante soit-elle. Deux éléments vont le montrer, d’abord cette immersion passagère dans un cadre naturel magnifique qui souligne les magnificences d’une vie simple. Et le second, le plus évident, ce sont les relations qu’entretient Norman avec Chelsea. Qu’y-a-t-il de plus important que d’avoir de bonnes relations avec ses enfants ? Et qu’y-a-t-il de meilleur que d’avoir une bonne entente avec ses parents ? Le film, au-delà de la question de la vieillesse qui nous rappelle que le temps joue contre nous dans les relations sociales qu’on peut avoir, va s’orienter vers la question de la succession des générations. Il y a trois générations dans ce film. Norman et Ethel qui sont la tradition familiale qui vivent ensemble depuis des décennies. Ensuite Chelsea et Billy Ray, on comprend bien qu’ils représentent cette nouvelle génération qui n’a pas épousé les mêmes valeurs et qui s’accommodent d’une famille recomposée. Ensuite il y a Billy Ray jr, celui-ci qui devient un peu le petit fils de Norman, est balloté de droite et de gauche, mais on ne sait pas ce qu’il deviendra. Son futur est cependant incertain.

Ils ont reçu une lettre de Chelsea

On peut aussi y lire un conflit de générations assez, traditionnel, Chelsea ne semble pas vraiment être sortie de l’adolescence, ce que lui fait remarquer sa mère, et à un âge avancée tout de même elle en est à conserver un comportement d’adolescente tardive. Cet aspect est donc une critique indirecte de la modernité. En effet, on comprend qu’elle a traversé des relations amoureuses aussi nombreuses qu’inconsistantes, comme pour se démarquer de ses parents, s’opposer à eux, alors que manifestement elle voudrait bien être capable de suivre sur ce plan-là au moins leur trace. La preuve de l’échec de cette génération, c’est le statut de Billy Ray Jr. Celui-ci se trouve sans repère affectif manifestement, mais il le trouvera auprès justement de Norman qui, malgré ses airs bourrus, le comprend mieux que n’importe qui. Plutôt que de le choyer d’une manière assez hypocrite, il trouve la bonne distance en l’entraînant dans des parties de pêche et en lui donnant des responsabilités importantes pour son âge. C’est ainsi que Billy Ray jr devient le passeur entre les générations face à l’irresponsabilité manifeste de son père et de sa belle-mère ! Le passage difficile du témoin entre les générations n’est pas le seul passage, en filigrane il y a aussi celui d’une passation de pouvoir entre les sexes : en effet, Norman ayant fini son temps comme professeur et chef de famille, c’est manifestement Ethel qui prend la suite, elle est moins usée que lui, et surtout elle a cet optimisme un peu déraisonnable de croire encore à la vie malgré le temps qui passe. Elle traite un peu son mari comme un enfant, lui passant ses mauvaises humeurs, le rassurant autant qu’elle le peut sur l’amour qu’elle lui porte, dans le couple, c’est elle qui remet tout en ordre et qui indique la direction.

Billy Ray Junior va passer un mois avec eux

Le scénario qui a été écrit directement par Ernest Thompson à partir de sa pièce, suit un développement logique. Certes, Norman et Ethel sont des vieillards plutôt privilégiés, même s’ils comprennent qu’ils sont en train d’entamer leur dernier tour. Ils n’ont à se préoccuper que des effets de l’âge sur leurs capacités physiques et intellectuelles, et aussi de tenter de rabibocher leur famille. Les vieux qui sont restés dans la pauvreté ont en effet des problèmes supplémentaires à gérer, le manque d’argent, ou les difficultés de se soigner qui seraient en quelque sorte bien plus dramatiques. C’est ce qui a été d’ailleurs reproché par une partie de la critique au moment de sa sortie. Évidemment sur le plan esthétique ce serait tout de même bien moins vendeur et glamour pour le cinéma. Doit-on reprocher cette perspective ? Oui et non, oui, parce qu’on peut y voir des aspects factices, des problèmes de bourgeois arrivés. Non bien sûr parce que les problèmes de l’âge touchent tout le monde. Il y a pour ces gens inquiets, ma nécessité de trouver la sérénité. On a donc trois phases, la première c’est l’ennui de vieilles personnes mises à l’écart, la seconde c’est la succession des générations, et enfin la sérénité face à l’inéluctable.

Norman va souffler ses quatre-vingts bougies

Cette idée du temps qui passe, c’est le passage des saisons, et c’est là que se trouve le rapport avec l’environnement de la nature. C’est sans doute pour cela que ceux qui jugent que le film est supérieur à la pièce de théâtre ne se trompent pas. Entre le début et la fin du film, nous traversons l’été et leur départ annonce l’automne. De ce point de vue l’excellente photographie de Billy Williams qui a travaillé sur des grosses productions comme Gandhi, de Richard Attenborough, ou L’exorciste de William Friedkin, donne une qualité particulière à l’ensemble. Dans l’ensemble la mise en scène est très solide, Rydell prend son temps avec de larges panoramiques pour saisir l’espace naturel, notamment le lac, dans sa relative immobilité et dans son renouvellement. Il arrive aussi à contourner assez bien le principal problème des adaptations de pièces de théâtre à l’écran, les bavardages, sans doute est-ce pour cela qu’il s’attarde longuement sur les parties de pêche et sur l’accident du bateau qui laisse Norman et Billy Ray jr à la merci d’une noyade. Le film a été tourné sur les lieux mêmes de l’action si je puis dire dans les régions des lacs. En même temps qu’on valorise l’environnement, on donne ainsi plus de poids au personnage de Billy Ray jr. La faune, les poissons, les plongeons, représente ce renouvellement incessant des choses de la nature, amenant une sorte de douceur de vivre. L’eau est le fil conducteur de ce film, elle rythme lentement le temps qui passe, en même temps qu’elle transforme toute chose.

Chelsea pense que son père la déteste

Henry Fonda et Katharine Hepburn malgré leur longue carrière n’avaient jamais tourné ensemble, et on dit qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés avant ce film. Si Katherine Hepburn avait déjà avant ce film obtenu 3 Oscars, Henry Fonda n’en avait obtenu qu’un au titre de sa carrière exceptionnellement longue et riche de rencontres. Katherine Hepburn avait offert à Henry Fonda le chapeau de Spencer Tracy, son grand amour, chapeau qu’il porte dans le film pour les parties de pêche. Pour On Golden Pond, ils obtiendront tous les deux un Oscar. Certes la prestation de Katharine Hepburn est plus théâtrale que celle d’Henry Fonda, mais elle n’est pas mauvaise du tout et puis elle a du punch, elle plonge dans l’eau froide, elle danse et se dépense sans compter, comme si elle voulait se prouver qu’au fond elle n’est pas si vieille, alors que son mari a abdiqué. Il y a un déséquilibre assez sensible tout de même entre les deux personnages principaux, le film s’attache plus au personnage de Norman qu’à celui d’Ethel, sans doute parce que celle-ci ne participe pas aux parties de pèche de Norman et Billy Ray jr. Le fait qu’Henry Fonda justement joue ce rôle sans trop d’affects, le rend encore plus pathétique et fragile. Tous les deux obtiendront un Oscar. Jane Fonda dans le rôle de Chelsea n’est pas trop présente et parfois elle en fait trop. Les deux Billy Ray par contre sont excellents, que ce soit le père ou le fils, le premier est incarné par Dabney Coleman, il n’a qu’un petit rôle, mais il est vraiment très bon, notamment dans la scène qui l’oppose à Norman qui s’amuse à le mettre en boite. Plus remarquable est le jeune Doug McKeon dans le rôle du fils. C’est un très bon choix parce qu’on a évité de lui donner un aspect trop lisse et trop poupin. Doug McKeon a un physique un peu difficile, renfrogné, peu photogénique, mais c’est justement cet aspect qui est intéressant, surtout que cela ne l’empêche pas de découvrir une sorte d’enthousiasme pour cette nouvelle vie et donc pour cette sorte de grand père qui lui tombe du ciel comme un cadeau inespéré. Après tout c’est un adolescent à la recherche de lui-même.

Billy Ray junior vide les poissons

La musique, surtout les passages au piano, est tout à fait en symbiose avec cette lenteur volontaire donnée à cette histoire, elle lui apporte une sorte de mélancolie bienvenue. Ce fut en 1982 un très grand succès public aussi bien aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde, quoique cette histoire soit typiquement américaine dans cette défense des « valeurs ». il est d’ailleurs toujours apprécié, même s’il a tendance de s’effacer un peu avec le temps. Outre les Oscars de meilleurs acteurs pour Henry Fonda et Katherine Hepburn, le film obtint aussi celui du meilleur scénario. La critique fut bonne dans l’ensemble, certains grincheux ne se sont pas laissé émouvoir par ce film, voulant y voir de la niaiserie plus que du drame. Mais ils furent très minoritaires. Au final ce film a très bien passé les années, grâce à la mise en scène aussi bien qu’à la qualité de l’interprétation. Le film dure près de deux heures, mais on ne s’ennuie pas, bien qu’il ne s’y passe rien d’extraordinaire !

Norman et Billy Ray junior naviguent dans une zone dangereuse

Contrairement à ce qui a été dit ici ou là, ce ne fut pas le dernier tournage pour Henry Fonda, il tournera encore dans un téléfilm, Summer Solstice, encore une histoire de vieux, il formera à nouveau un couple avec Mirna Loy autre gloire passée d’Hollywood. Katherine Hepburn continuera encore le métier pendant quelques années, jusqu’en 1994.

Norman a fait un malaise



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