Dead Bang, John Frankenheimer, 1989

  

John Frankenheimer a eu une longue carrière de plus d’une quarantaine d’années, il fait partie des ces réalisateurs qui ont débuté à la télévision dans les années cinquante et qui se sont imposés par leur maitrise technique, leur rapidité dans le travail. Rapidement il est devenu un réalisateur doté de gros budgets, sa coopération avec le difficile Burt Lancaster sur cinq films, et pas des moindres lui permit d’arriver à de gros succès internationaux, comme avec l’ambitieux The Young Savages[1], ou The Train. The Manchurian Candidate ou encore le surprenant I Walk the Line[2] sont parmi ses grandes réussites. Dead Bang se trouve dans la dernière partie de son œuvre. A la fin des années quatre-vingt, il est devenu un peu trop classique si je puis dire par rapport au Nouvel Hollywood, et en même temps trop personnel pour se résoudre à faire des films qui ne lui plairaient pas. Ce film est l’histoire réelle, évidemment romancée, d’un policier de Los Angeles, Jerry Beck. Celui-ci a d’ailleurs travaillé sur le scénario après que John Frankenheimer lui ait acheté les droits d’adaptation de sa vie. Il continuera un peu à travailler dans le cinéma et à la télévision, sans trop de succès d’ailleurs. C’est donc une incursion du côté de la police de Los Angeles sur le thème des difficultés de l’existence d’un policier dans une société où les lois sont assez inadaptées à la réalité de la violence quotidienne et parfois absurde. C’est un thème assez présent dans les films néo-noirs des années quatre-vingts, des séquelles du succès de l’inspecteur Harry. Le tout va être inséré dans une histoire de secte néo-nazis alimentée par des espèces de clochards ultra-violents. Le scénario a été écrit d’après les aventures de Jerry Bek par Robert Foster, très peu connu, celui-ci a surtout travaillé pour la télévision et ne compte que quatre films assez peu connus à son actif. 

Un jeune homme rentre dans une épicerie et tire sur le gérant 

La veille de Noël, un jeune homme rentre dans une épicerie pour voler la caisse et il abat le gérant un afro-américain. Un policier l’arrête pour le contrôler mais il se fait tuer. L’enquête est confiée à Jerry Beck, un policier alcoolique qui a de gros problèmes : il est divorcé et son ex-femme lui fait des difficultés pour voir ses enfants. Rapidement il tombe sur la piste de Bobby Burns récemment sorti de taule. Avec un officier de probation, il va chercher à le joindre, mais il tombe sur son frère John qui prétend ne pas le connaitre. Son attention va par contre être retenue par un fuyard qui s’avère en réalité un ami de Bobby. il s'avère qu'il s'agit d'un ami de Burns, lui aussi en liberté conditionnelle pour vol à main armée. Contre le fait qu’il ne sera pas inquiété, le fuyard va donner des renseignements sur la direction de Bobby Burns. La police confirme que c’est bien Bobby Burns qui a été identifié pour le meurtre du policier. Beck se dispute avec une femme, Linda, qui a couché avec lui et qui s‘avère être l’ex-femme du policier assassiné. En Arizona, Burns et une bande de semi-clochards braquent un bar mexicain et assassinent ses clients. Un chef de la police locale informe Beck du crime, qui part immédiatement pour l'Arizona. Beck suit cette piste et avec le chef de la police locale ils se rendent dans un ranch qui serait la cachette de Burns. Burns et ses hommes attaquent les policiers à l'arme automatique ; ils s'enfuient au volant de la Ford. Beck récupère dans une cache de documents que Burns a laissés tomber, contenant de la propagande nazie et suprématiste blanche, des cartes et un carnet d'adresses. Beck part pour Bogan dans l’Oklahoma où il fait un froid de canard, afin de retrouver l'une des personnes mentionnées dans le livre, le révérend Gebhardt. Celui-ci est en fait le leader d’une organisation religieuse suprémaciste blanche Arayan Nations. Le shérif de l’endroit est manifestement lui aussi un raciste et tente de freiner Beck dans son enquête. Burns et son gang sont bien là, mais les policiers ne les trouvent pas. Cette nuit-là, Burns se jette sur Beck qui est au volant de sa voiture, le menaçant d'une arme de poing. Alors que Burns s'apprête à lui tirer dessus, Beck percute un véhicule de police arrivant en sens inverse. Au cours d'une fusillade, Beck allume une boite d’allumettes et met le feu à une voiture dont le réservoir d’essence fuit, forçant Burns à s'enfuir avec ses hommes après une explosion. De retour à Los Angeles, les supérieurs de Beck sont frustrés par ses performances au sein de la police, en partie à cause de son alcoolisme et de son comportement grossier. Ils recommandent qu'il subisse une analyse psychiatrique ; après la séance, cependant, Beck menace physiquement le psychiatre pour qu'il le laisse continuer. Un appel téléphonique, plus tard dans la journée, l'informe qu'il est désormais apte au service. 

Arrêté par la police, il assassine un policier 

À Boulder dans le Colorado, il rencontre le capitaine de police Dixon, qui confie à son équipe d'hommes, des noirs, la tâche de traquer Burns. Accompagné de Kressler, l’homme du FBI, il se rend avec Dixon dans un camp d'entraînement paramilitaire appartenant à Aryan Nations et tend une embuscade à Gebhardt et aux autres membres. Ses recherches pour retrouver Burns restent vaines, ce qui engendre une hostilité entre lui et Kressler. Beck, cependant, découvre une porte dérobée menant à un réseau de de souterrains. Une fusillade s'ensuit entre lui et Burns ; Beck tire et le blesse mortellement. Alors qu'il gît mourant, Burns nie avoir tué le policier de Los Angeles. John surgit soudain de derrière eux et, tout en menaçant Beck et Kressler, avoue avoir tiré sur le policier pour montrer à son frère qu'il partageait son mépris pour la police et sa fidélité à la suprématie blanche. Beck insulte John à son sujet, et John lui répond en tirant sur lui. Lorsque John est à court de balles et sort de sa couverture, Beck le tue. Lors d'une conférence de presse, Dixon informe que le FBI va revoir sa position sur les groupes suprémacistes blancs, et attribue à Kressler le succès de l'enquête grâce aux preuves recueillies par l'agent. Dehors, Dixon et Beck se lient d'amitié et se séparent. 

Sur la piste du tueur, Beck a arrêté la mauvaise personne 

Le scénario est parfaitement linéaire, et le fait qu’on ait confondu les deux frères n’apporte pas grand-chose au sens de l’histoire. Film d’action, on ne peut pas dire que le scénariste cherche les complications. Le premier thème c’est un flic solitaire qui vit difficilement son métier, en bisbille avec sa hiérarchie, avec son ex-femme et avec le FBI, il a du mal à trouver son chemin. Il compense son désarroi par une obstination sans frein. Il se fixe comme but la vengeance d’un policier qui a été lâchement abattu dans une rue sombre. Pour ajouter encore à ses difficultés, il est fauché, perclus de dettes et harcelé par sa femme qui entame procédure sur procédure contre lui. On comprend d’ailleurs que ce sont ses propres difficultés qui le rendent très violent. Il apparait comme un révolté. C’est un thème abondamment développé dans les années quatre-vingts aux Etats-Unis comme il l’avait été en Italie dans les années soixante-dix avec la déferlante du poliziottesco qui essaimera outre-Atlantique. 

Beck est prévenu, l’auteur de l’assassinat du policier a été identifié 

Cependant, au-delà de ce portrait très traditionnel d’un flic solitaire et incompris, il y a une réflexion sur la violence. Si très souvent ce genre de film depuis Dirty Harry révèle une pensée de l’ordre et fascisante, ce n’est pas le cas ici. D’abord parce que John Frankenheimer est un cinéaste de gauche, ensuite parce qu’il montre que derrière l’apparence du désordre se pointe un nouvel ordre social fasciste. Celui-ci est représenté par le révérend Gebhardt, un homme riche et rusé qui utilise des jeunes gens manifestement désaxés pour avancer ses pions. On suppose d’ailleurs que Gebhardt n’est pas seul et que d’autres comme lui travaillent au même projet. Et donc en poursuivant cette bande de clochards emmenée par Bobby Burns, Beck va éveiller sa conscience à un niveau supérieur. Le danger est moins ces individus violents que ceux qui les manipulent. On avait eu quelques films en ce sens qui impliquaient des anciens nazis, comme Marathon Man de John Schlesinger[3], ou The Boys from Brazil de Franklin Schaffner[4]. Mais cette fois, les nazis sont des Américains bon teint et non des nazis d’importation. Rappelons que parmi les réussites de Frankenheimer, il y a Seven Days in May qui en 1964, parlait d’un complot militaire d’extrême-droite. Ici Beck va découvrir un complot nazi presque par hasard, sans y penser. D’ailleurs personne n’y pense. Il y a donc comme une foi en une démocratie qui fonctionnerait sans à-coups que le film remet en cause. Le camp des nazis est riche, bien organisé, armé comme pour déclencher une guerre imminente. 

Beck est furieux après Linda qui était mariée avec le policier abattu 

Frankenheimer utilise comme dans l’excellent I Walk the Line qui date de 1970 cette image d’une petite ville en apparence tranquille derrière ses traditions. Le sens du film est donc de dévoiler ce qui se cache derrière l’hypocrisie d’un modèle. On verra ainsi un shérif manifestement raciste et vendu au potentat local qui garde dans son bureau une pancarte insultante pour les « nègres ». Mais la violence c’est bien entendu celle de Beck. Celui-ci manifeste une fureur constante. On le verra dans une scène dévaster son bureau de policier, puis dans une autre menacer le psychiatre qui tient sa vie professionnelle dans ses mains. Il manifeste de la colère avec Linda qui selon lui l’a manipulé en couchant avec lui. Bien entendu il sera violent aussi avec les délinquants, d’autant plus qu’il sait qu’ils sont très dangereux. Malgré ses écarts constants avec le code de procédure, il conserve pourtant son sang-froid. Il reste rationnel et sait jusqu’où il peut aller. De quoi se venge-t-il ? On remarquera qu’il va faire équipe avec des policiers noirs qu’il juge plus fiables pour la lutte contre les nazis. Mais ceux-ci ont également une revanche à prendre en leur nom, comme au nom de leurs ancêtres. 

Une bande ce crasseux s’attaque à un bar mexicain pour le dévaliser 

Cette montée de la violence est inéluctable pour compenser la violence des nazis qui n’hésitent jamais à tuer. Pour autant les institutions ont beaucoup de retard, non seulement dans la compréhension de la réalité, mais aussi dans les méthodes pour combattre la violence la plus ordinaire. C’est pourquoi Beck se heurte aussi bien aux rigidités bureaucratiques du FBI, qu’au fait que sa hiérarchie lui mette dans les pattes un psychiatre caricatural. Beck apparait non pas comme un vengeur ou un redresseur de torts, mais plutôt comme un rebelle qui considère qu’il faut remettre en question ces institutions bureaucratiques. La scène finale verra d’ailleurs le FBI et la police locale s’attribuer sans vergogne le succès de l’enquête pour satisfaire leur égo, mais aussi pour justifier leur existence, alors que tout le long de l’histoire ils n’ont fait que suivre péniblement le mouvement. 

La bande échappe à la police en faisant parler les mitrailleuses 

Beck n’est pas seulement en opposition avec les institutions de la police, il l’est aussi avec les femmes qu’il rencontre. Sans trop d’explication, elles sont présentées comme prédatrices et manipulatrices, aussi bien sa femme qu’on ne voit jamais à l’écran et qui l’empêche de voir ses enfants, que Linda qui veut se servir de lui pour assouvir une vengeance et qui le séduit pour ce faire. Évidemment de tels propos ne pourraient plus être tenus aujourd’hui, surtout à Hollywood, ils sont ouvertement misogynes. Beck trouvera cependant un peu d’amitié et de compréhension chez certains policiers, particulièrement les noirs qui savent ce qu’ils ont enduré. 

Dans leur repère les policiers trouvent toute une littérature nazie 

Le principal défaut de ce scénario, ce n’est pas sa forme linéaire, mais le manque qu’approfondissement des personnages secondaires. Seul Beck a une personnalité dense et bien charpentée, les autres restent un peu ternes, que ce soit le flic du FBI qui se braque sur des positions moralisantes, ou même Linda dont on ne comprend pas très bien les motivations. Le portrait du révérend Gebhardt est également très faible, or il représente pourtant le reliquat de la communauté germano-américaine, cette communauté puissante et riche qui a agi notamment pour retarder l’entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Mêmes les gangsters, qui se situent entre illumination et bikers apparaissent seulement comme des imbéciles alcoolisés. L’idée d’introduire deux frères est mal développée, on croit seulement comprendre que le second, le tueur de flic, est à la recherche d’une reconnaissance auprès de son aîné. 

Le policier de la petite ville montre peu d’entrain à aider Beck 

La copie que j’ai visionnée est en 16/9ème, wide screen si on veut, mais il me semble au vu de la bande annonce que le film était originellement en 4/3. Ce que je trouve un peu gênant notamment pour les scènes où la profondeur de champ est recherchée. La photo de Gerry Fisher est bonne. C’est un bon technicien, c’est lui a fait celle de Mr Klein de Losey par exemple. Typique ici des années quatre-vingt, ce qui est recherché c’est une forme de vérisme dans les couleurs de façon à donner plus de poids aux décors naturels. Ce sont bien entendu les scènes d’action qui retiennent le plus l’attention, que ce soit les agressions des frères Burns ou la course de Beck pour rattraper le fuyard qui lui donnera finalement des informations sur Bobby Burns. Également la traque du gang des bikers dans les souterrains du domaine nazi est particulièrement dynamique et bien réalisée. Il y a plus d’attention à l’action proprement dite qu’au sujet lui-même, et c’est ce qui est un peu frustrant pour le spectateur parce que les personnages semblent perdre un peu de leur consistance. 

Beck a des difficultés avec l’homme du FBI 

La distribution est emmenée par Don Johnson qui porte le film sur ses épaules. Célèbre pour ses apparitions dans la série Miami Vice, il est possible que cette célébrité l’ait bridé pour avoir de meilleurs rôles au cinéma. Ce rôle dans le film de Frankenheimer vient juste avant l’excellent Hot Spot[5], Ce qui veut dire que Don Johnson avait le désir de sortir du rôle stéréotypé de James Crockett. Dans Dead Bang, il s’est fait boucler les cheveux, il disait que c’était pour mieux ressembler à Jerry Beck, c’est du moins ce qu’il racontait, mais je crois que c’était aussi pour échapper à son personnage de Miami Vice. Il multiplie d’ailleurs les signes d’une dégradation, il porte des lunettes, réparées avec du scotch, il est mal habillé et il a froid. Il abandonne ici une attitude cool, et manifeste plutôt de la colère. C’est un bon acteur, sous-estimé et sous-employé à mon sens. Au-delà des scènes d’action, il est très crédible quand il s’affronte avec Linda. 

Pour s’en sortir Beck a provoqué un accident et mis le feu à la voiture des truands 

Cette dernière est incarnée Penelope Ann Miller, avec qui Don Johnson avait une liaison à cette époque. Son rôle est relativement étroit, mais elle est très bien. Dans la distribution, on distinguera les petits hommes, d’abord Bob Balaban dans le rôle de l’agent de probation, c’est un acteur qui est toujours impeccable. Puis il y a l’excellent Michael Jeter dans le rôle du docteur Kranz, le psy de service. Les nazis qui sont les vrais méchants manquent totalement de consistance. Et c’est vrai que quand le méchant est raté comme disait Hitchcock, le film est un peu raté. William Forsythe dans le rôle de l’agent Kressler n’est ni bon ni mauvais, il est anodin. 

Il doit s’expliquer avec le psy de service pour pouvoir continuer son enquête 

Le film n’a pas été un succès, ni devant la critique, ni du point de vue de la billetterie. Il a perdu de l’argent. C’est pourtant un film agréable à regarder, sans ennui, sans être pourtant indispensable. il y manque sans doute un petit grain de folie qui emporterait l'adhésion. Il faut le regarder d’un point de vue historique car il désigne ce qu’on serait incapable de filmer aujourd’hui. Une autre raison de le voir c’est Don Johnson bien entendu. 

Ils ont investi un camp de nazis 

Découvrant un labyrinthe de souterrains, ils avancent prudemment 

Les deux frères Burns sont tous les deux bien morts 





[1] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/le-temps-du-chatiment-young-savages.html

[2] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/le-pays-de-la-violence-i-walk-line-john.html

[3] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/marathon-man-john-schlesinger-1975.html

[4] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/ces-garcons-qui-venaient-du-bresil-boys.html

[5] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/hot-spot-hot-spot-dennis-hopper-1990.html

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