One Girl Confession, Hugo Haas, 1953
Malgré les apparences, ce n’est pas tout à fait un film
noir. Il y avait pourtant les ingrédients pour le faire. Un fille de bar, un
port, un vieux joueur de cartes décavés, un oncle abusif qui vole sa nièce
après avoir volé ses parents. Mais Hugo Haas va contourner les poncifs pour
faire tout autre chose. Le drame, constitutif du film noir est à peine effleuré
qu’il s’éloigne. C’est déjà le troisième film américain d’Hugo Haas, il va être
produit par sa propre compagnie, Hugo Haas Productions. Il a tout fait,
du scénario à la réalisation en passant par la production. Cette fois il ne
s’est donné qu’un rôle secondaire. C’est clairement lui qui a lancé la carrière
de Cleo Moore qui auparavant végétait dans des petits rôles. Il visait sans
doute à ce qu’elle devienne une nouvelle Marylin Monroe. Mais si elle en avait
la blondeur, elle n’en possédait pas l’ingénuité. Pour autant, elle n’était pas
une mauvaise actrice, bien au contraire, elle avait un abattage certain.
C’était déjà le second film qu’ils tournaient ensemble. Ils en feront six en
tout. Un vrai système, appuyé comme toujours sur un budget famélique, apportant
la preuve que l’argent ne suffit pas à faire un bon film, et que le manque de
moyen peut être un atout si la mise en scène sait s’y adapter. Et sur ce
terrain Hugo Haas est parfaitement à l’aise.
Mary travaille dans le
bistrot de son oncle
Mary Adams, jeune orpheline, travaille pour presque rien dans le bistrot misérable de son oncle qu’elle soupçonne d’avoir dépouillé ses parents. Elle doit se débrouiller, malgré le harcèlement des clients et de l’oncle. Un soir, alors qu’elle est montée dans sa chambre et qu’elle lave ses bas, elle surprend son oncle en train de recueillir de l’argent, fruit d’une louche transaction. En le surveillant, elle va comprendre que l’oncle dort sur sa casette. Mais, rusée, elle va accéder jusqu’à sa chambre en passant par l’imposte, puis voler la cassette sans que l’oncle ne se soit réveillé. Au matin, elle est réveillée par la police que l’oncle a appelée. Elle ne nie pas être l’auteur de ce vol, mais elle avoue qu’elle a caché le butin et qu’elle ne dira rien sur sa cachette. Le juge va la condamner à une lourde peine de prison. Mais comme sa conduite est irréprochable, elle va d’abord, grâce à l’aumônier, obtenir un poste pour travailler auprès d’un vieux jardinier. Toujours pour sa bonne conduite, elle va finalement bénéficier d’une libération anticipée. Elle est assez surprise, mais elle est contente. Elle va retourner cependant dans son ancien quartier. Là elle va retrouver le bar de son oncle, mais le propriétaire a changé. C’est un joueur compulsif qui le tient.
Passant par l’imposte, elle
va voler le magot de son oncle
Elle va se faire engager auprès de lui comme serveuse, et
après l’avoir remis à sa place, Damitrof va retourner à sa table de jeu sous
l’œil jaloux de sa maitresse surnommée Smooch. Damitrof a beaucoup de chance,
il gagne tout le temps. A son service Mary va faire la connaissance d’un
certain Johnny, un patron pêcheur, et tandis qu’elle essaie d’aller récupérer
l’argent qu’elle a caché, 25 000 $ tout de même, celui-ci la suit, l’en
empêchant, et va lui conter fleurette. Elle lui a plu, et cela semble réciproque.
Mais Johnny attend un prêt de la banque pour investir un peu plus largement
dans son affaire. Mary lui propose de lui avancer l’argent contre une part dans
son affaire. Johnny tergiverse. Cependant Damitrof en jouant a tout perdu. Il
est liquidé. Mary se propose de lui avancer l’argent pour le sauver, il
accepte. Elle lui désigne l’endroit où elle l’a caché. Mais quand il revient,
il est en colère et dit qu’il n’a rien trouvé. Il va chasser Mary qui tombe
malade. Quand elle sort de sa convalescence, elle revient vers le bar de
Damitrof, mais celui-ci a changé de gérant. Cependant Damitrof est devenu
riche. Mary le soupçonne de l’avoir volée. Elle va le guetter, découvrir son
adresse dans une luxueuse résidence, et après une fête qu’il a donnée, elle va,
une fois que tous les invités sont partis, lui réclamer des comptes. Mais
Damitrof est complètement ivre et semble vouloir retenir Mary contre lui. Se
saisissant d’une bouteille de champagne, elle l’assomme. Sur ces entrefaites,
Smooch qui a laissé son amant pour revenir chez Damitrof, découvrir le corps
inanimé de Damitrof. Elle déclare à Mary qu’il est mort. Mais en même temps
elle indique qu’en réalité Damitrof n’a pas volé l’argent de Mary, qu’il a
remonté la pente une fois de plus au jeu où il a gagné une fortune. Mary est
désemparée et s’en va. Elle va vérifier ce que Smooch lui a dit. Et en effet
elle retrouve l’argent. Elle va apporter cet argent à un orphelinat, puis elle
se rend à la police pour se dénoncer. Le policier téléphone chez Damitrof pour
vérifier ses dires, et constate que celui-ci est bien en vie. Il renvoie Mary
qui soulagée va essayer de récupérer l’argent, mais c’est trop tard, les
bonnes sœurs l’ont emporté. Quelque temps plus tard, en se promenant sur le
port, elle retrouve Damitrof qui lui ne se souvient de rien. Ils se saluent,
mais voilà que Johnny arrive avec son bateau et Mary s’en va avec lui, avec les
félicitations de son ancien patron.
L’oncle a prévenu la police
qui vient arrêter Mary
Comme on le voit, à chaque tournant de cette histoire
particulièrement invraisemblable, Haas qui a écrit le scénario, évite les
solutions évidentes. Déjà il ne tombe pas dans la redite du film de femmes en
prison. Il l’esquive complètement. Mary semble prendre des vacances et
s’instruire auprès du vieux jardinier. Ensuite on a l’impression que Johnny qui
suit Mary, va se comporter en escroc et lui soutirer de l’argent au prétexte
d’investir dans son affaire. Également on s’attend à ce que Damitrof ait réellement
trouvé l’argent et donc ait décidé de le garder tout pour lui, de dépouiller
Mary. De même on croit que Damitrof est mort, ce qui tournerait au drame noir.
Mais on se trompe encore. En vérité ce qu’on comprend c’est que la méfiante
Mary se trompe tout le temps, et si nous nous trompons nous aussi c’est parce
que le film épouse le point de vue subjectif de la jeune femme. On n’a aucune certitude,
en dehors de ce qu’elle affirme que l’argent qu’elle vole à son oncle provient
vraiment d’une spoliation de ses parents.
Sa bonne conduite en prison
lui permet de travailler avec le vieux jardinier
Ceci posé, Mary Adams apparaît comme un fort caractère. Elle
n’a peur de rien, mais elle doit se défendre. Dès le début, on la voit aux
prises avec la clientèle du bistrot dans lequel elle travaille. Des mains s’égarent
qu’il faut remettre sur le droit chemin. Ce sera encore pareil avec Damitrof
qui va tenter sa chance auprès d’elle en essayant de lui voler un baiser. C’est
une jeune femme qui tient à sa respectabilité, y compris avec Johnny. Que cherche-t-elle ?
Elle fuit un oncle faussement paternaliste, et elle trouve un père de substitution
avant que de trouver un probable mari. Elle recherche donc à la fois une
famille et une protection. D’ailleurs en prison elle saura s’entourer d’un
prêtre très paternaliste et d’un vieux jardinier comme des pères de
substitution. Son errance si elle ne l’a conduit pas sur le chemin de la
rédemption, l’amène à ouvrir les yeux sur elle-même. Si elle rend l’argent
aussi facilement en le donnant à un orphelinat, ce n’est pas pour illustrer le
proverbe « bien mal acquis ne profite jamais », mais plutôt pour se
débarrasser de ses fausses certitudes, notamment vis-à-vis de Damitrof et de
Johnny. Elle va donc abandonner sa méfiance naturelle envers tous les mâles qu’elle
croise et qu’elle tient à distance.
Les thèmes sous-jacents à cette histoire, sont l’émancipation de la femme. Bien sûr, c’est de Mary qu’il s’agit, même si à la fin elle semble retrouver une place plus traditionnelle auprès de Johnny. Mais aussi de la délurée Smooch qui semble avoir des mœurs on ne peut plus libres. Certes elle semble attachée à Damitrof, mais on comprend qu’elle a aussi des amants. Les hommes restent un peu en retrait, Damitrof est bien trop possédé du démon du jeu pour penser véritablement à autre chose, et quand il fait la fête c’est simplement une manière de fêter sa victoire au jeu. Pour le reste, il se laisse vivre, il n’est même pas attristé de se voir repousser par Mary. L’autre personnage mâle c’est Johnny. Il fait le malin, mais au fond il ne comprend rien à Mary. Le spectateur le prend d’ailleurs assez facilement en grippe parce qu’il entrave Mary qui voudrait bien récupérer son argent sans l’avoir dans les pattes.
Mary va être engagé par le
joueur Damitrof comme serveuse dans son bar
Tout cela se passe à la croisée de deux mondes. Les institutions
qui défendent les valeurs morales, l’argent, la famille, elles sont
représentées par le tribunal, la prison et aussi l’Église et l’orphelinat. A l’opposé
existe un monde interlope, pas forcément des brigands ou des criminels, mais
des joueurs, des viveurs. Ils représentent cette vie qui bouge et se manifeste
au-delà des règles ordinaires. Mary se trouve d’ailleurs à l’intersection de
ces deux mondes, comme si elle en était l’agent de liaison, comme pour nous
signifier que ces deux mondes n’en forment qu’un seul. D’un côté elle recherche
la respectabilité et la stabilité, mais de l’autre elle vole de l’argent et
veut s’en servir pour aider aussi bien le pâle Johnny que le flamboyant
Damitrof qui, on le comprend, va continuer à vivre sur le fil du rasoir, un
jour gagnant, un jour perdant. C’est sans doute par ces allées-venues entre deux
mondes qui en apparence s’ignorent que le film se rapproche du film noir et de
son essence.
Elle a fait la connaissance
d’un marin-pêcheur
Toute la mise en scène est construite autour du personnage
de Mary et donc de son point de vue subjectif. Haas utilise des trucs habituels
du film noir, comme il le fait souvent dans ses films, notamment les couloirs,
les escaliers, ou encore le passage de Mary à travers l’imposte. Ces effets de
tunnel symbolisent fortement le passage de la jeune femme à travers les
différents mondes, les différents milieux, comme si elle cherchait une sortie
pour son enfermement mental. Quand elle tente de récupérer « son argent »,
dans les ruelles sombres de la ville, elle est traquée par l’ombre de Johnny
qui semble vouloir l’empêcher d’atteindre son but. Une fois n’est pas coutume,
Haas utilise beaucoup de plans tournés en extérieur et au grand jour. C’est le
port évidemment qui n’est plus tout à fait le lieu des combines et des trafics,
mais celui du travail de la pêche. Et puis aussi le quartier résidentiel où
Damitrof a trouvé un logement dans une luxueuse résidence. Et enfin la visite
de Mary à la police pour se dénoncer et à l’orphelinat.
Damitrof a tout perdu au jeu
et doit trouver de l’argent rapidement
Le rythme est très équilibré, en trois temps, d’abord le vol
de l’argent, jusqu’à la rencontre de Damitrof. Ensuite, ce que Mary croit être
la trahison de Damitrof, et enfin la conclusion assez rassurante, en comprenant
que Damitrof n’est pas mort, elle va retrouver le goût de vivre. Elle passe de
l’ombre à la lumière en partant finalement refaire sa vie avec Johnny. On peut
cependant regretter que la photographie de Paul Ivano surexpose les scènes
ensoleillées, les scènes qui se jouent dans l’ombre et qu’on a évoquées
ci-dessus sont par contre bien plus significatives, comme si Haas et Ivano son
comparse étaient plus à l’aise dans le drame véritable, mais cela est la
conséquence du choix du scénario de faire finalement sortir Mary de ses
tourments.
Damitrof dit qu’il n’a pas
trouvé l’argent
La distribution c’est d’abord Cléo Moore, elle occupe
presque seule la totalité des prises de vue dans le rôle de Mary Adams. Je
crois bien que c’est son rôle le plus important. En effet, Hugo Haas qui avait
pris l’habitude de lui donner la réplique, se contente ici d’un rôle moins
important que sa vedette féminine. Sans doute parce que son projet était de la
pousser à ce qu’elle vienne concurrencer la célébrité naissante de Marylin
Monroe. Cléo Moore est excellente, mettant beaucoup d’énergie à manifester ses
colères comme ses espérances. Hugo Haas est très bon aussi essentiellement
parce qu’il ne devait pas sentir le poids de porter le film dans son entier sur
ses épaules. Derrière on trouve Helen Stanton dans le rôle de Smooch, la maitresse
en titre de Damitrof. Curieusement c’est encore une actrice qui n’a pas fait
une grande carrière, elle avait un bon physique pourtant, et aussi une bonne
science du jeu d’actrice. C’était là son premier film, et rapidement elle
abandonnera.
La maitresse de Damitrof constate
son décès
Le plus calamiteux c’est sans doute le malheureux acteur à
qui on a confié le rôle de Johnny le patron-pêcheur. Il est aussi grand que ce
qu’il est niais. Bon a rien, mauvais à tout, il est raide comme la justice et n’a
aucune chance d’inspirer quoi que ce soit à l’énergique et sensuelle Mary. Ce Glenn
Langman n’atteindra jamais les premiers rôles, et ici il ne sera qu’un triste
faire-valoir. Leonid Snegoff qui joue le rôle du vieux jouer qui ratiboise
complètement Damitrof, se fait remarquer pour la justesse de son jeu. Certes,
il est étroit ce rôle, mais il marque l’effondrement de Damitrof. C’est un
acteur de seconds rôles qu’on n’a pas vu beaucoup.
Mary a retrouvé l’argent
Ce n’est certainement pas le meilleur film d’Hugo Haas, mais
il tient parfaitement la route à condition de ne pas cherche trop à comprendre
les incongruités des situations. Comme je l’ai dit ci-dessus, le principal
défaut est qu’Hugo Haas s’est refusé de faire un vrai film noir à partir de
cette histoire. On peut le voir d’abord pour Cleo Moore, et ensuite pour l’optimisme
qu’il arrive finalement à dégager. Le film a été certainement un succès puisque
Richard Koper en reprendra le titre pour écrire la biographie de Cleo Moore qui
quitta rapidement le cinéma, qui devint une femme d’affaire avisée après avoir
épousé un agent immobilier, mais qui décédera très jeune[1]
Elle va se dénoncer à la
police comme meurtrière
Si on trouve ce film assez facilement en version numérique, ce sera seulement en DVD, en version originale mais sans sous-titres. L’image est plutôt bonne mais ce film se trouve un peu perdu dans un coffret intitulé Bad Girls of Film Noir, Vol. 2, avec Night Editor d’Henry Levin et Women’s Prison de Lewis Seiler dont j’ai déjà parlé[2].
Damitrof regarde partir
Johnny et Mary
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