Plus fort que le diable, Beat the Devil, John Huston, 1953


À cette époque Humphrey Bogart en était déjà à sa sixième collaboration avec John Huston sur une douzaine d’année. Fort de ses succès, il avait créé une société de production en 1949 qu’il avait baptisée du nom de Santana, le nom de son bateau. C’est donc lui qui va chercher John Huston pour mettre en scène cette histoire qui sera aussi le dernier film qu’il produira. Beat the Devil est d’abord un roman écrit par Claud Cockburn sous le pseudonyme de James Helvick. Claud Cockburn n’était pas n’importe qui, c’était un journaliste anglais, un communiste, qui s’engagera physiquement dans la Guerre d’Espagne. Plutôt de tendance stalinienne même, et avec peu d’égard pour les tendances trotskiste et anarchiste. George Orwell critiqua les articles qu’il écrivit sur la Guerre d’Espagne les jugeant trop favorables aux thèses staliniennes. Il était ensuite un partisan de la guerre avec l’Allemagne nazie, à un moment où l’Angleterre de Chamberlain hésitait encore. Ses activités militantes l’avaient mis directement dans le viseur des services de police qui produiraient plus pour son fils Patrick 24 volumes de comptes rendus sur son espionnage. Un tel personnage ne pouvait que plaire à John Huston comme à Humphrey Bogart. Santana acheta les droits d’adaptation du livre pour 3000 £, soit au cours du jour de l’euro et compte tenu de l’inflation, environ 20 000 €, ce qui n’était pas très élevé pour un roman qui avait eu un certain succès. Helvick participa à la première écriture du scénario, puis c’est Truman Capote qui hérita de l’affaire.


John Huston considérait que ce film était une œuvre mineure dans sa carrière, il n'avait pas tort. Œuvre d’aventures et de divertissement, le film visait au succès commercial, avec une très riche distribution internationale. En vérité le film va complètement oublier le roman qui était un thriller assez sérieux tout de même pour s’orienter vers la parodie. À l’origine l’action principale devait se passer en France et s’intéresser à l’exploitation des colonies en Afrique. Et c’est sans doute à partir de cette idée qu’Humphrey Bogart se lança dans cette aventure. Mais Huston et Capote s’éloignèrent de plus en plus du sujet initial, improvisant pratiquement au jour le jour la suite de l’action ! Bogart détestait ce film, et cela d’autant qu’il n’eut pas de succès et qu’il y perdit de l’argent, ce sera d’ailleurs sa dernière collaboration avec John Huston. Cependant, avec le temps, ce film a pris une allure de classique, notamment parce qu’il ressemble à une parodie de The Maltese Falcon.


Maria annonce à son mari qu’un autre meurtre a été commis à Soho

Sur la côte amalfitaine, une poignée d’escrocs et d’aventuriers plus ou moins associés attendent un bateau qui devrait les amener en Afrique, au Kenya, avec un projet mirifique de mettre la main su un terrain dont le sous-sol est bourré d’uranium. Il ya Billy Dannreuther et sa femme Maria, puis Gwendolen Chelm et son mari Harry et enfin l’équipe du gros Peterson, avec O’hara, un faux Chilien, le vindicatif Major Ross et Ravello. Maria raconte à son mari qu’il y a eu à Sojo un nouvel assassinat. En attendant le bateau qui est immobilisé pour cause d’avarie, mais plus surement parce que le capitaine cuve sa cuite, Maria tombe sous le charme de Harry, parce qu’il est anglais et qu’elle le croit riche, tandis que Gwendolen drague ouvertement Billy et le séduit. Mais bientôt le navire va prendre la mer. La bande à Peterson pense cependant qu’elle doit se méfier de Harry Chelm qui pourrait etre un agent des services secrets britanniques. Gwendolen presse Billy de partir avec elle, mais il lui dit qu’il y a des millions à gagner et qu’il ne voudrait pas refaire sa vie avec elle d’autant que Maria ne serait pas d’accord. Tout le monde soupçonne tout le monde, et chacun semble mentir sur ce qu’il est, et sur ce qu’il fait.


Gwendolen drague ouvertement Billy

Sur le bateau le Major Ross se propose d’éliminer Harry. Peterson le calme, mais il va voler la malette du faux aristocrate anglais pour trouver des preuves de ce qu’il est. Cela crée un scandale quand Harry découvre qu’on lui a pris sa mallette, se rendant dans la cabine de Peterson, il la trouve, et se plaint auprès du capitaine. Mais Peterson dit qu’il y a seulement eu une confusion. Comme Harry insiste, malgré les dénégations de tout le monde, y compris de sa femme. Mais le bateau connait une panne de chaudière, Harry prétend la réparer, il parait y arriver, mais la chaudière tombe encore en panne, le capitaine accuse Harry d’avoir abimé son bateau et le met aux arrêts. Le bateau menaçant de couler, le gang de Peterson, et le couple Dannreuther vont chercher à prendre une embarcation de secours. Voulant délivrer Harry, ils s’aperçoivent que celui-ci s’est évadé ! mais ils pensent qu’il s’est noyé.


La voiture est tombée en panne

Ramant vers le rivage, ils tombent sur une bande d’Arabes qui les fait prisonniers et qui les amène devant Ahmed qui les menaces des pires supplices car Peterson et son gang n’osent pas montrer leur passeport. Peterson essaie de se faire passer pour une malheureuse victime, mais Ahmed démonte ses mensonges. Billy va essayé de s’échapper, mais il est repris. Cependant il arrive à amadouer Ahmed en lui parlant de Rita Hayworth. Revenant en bateau vers Ravello, ils ont tous la surprise de voir que le Nangya est arrivé avant eux ! Toute cette agitation a fait que les serrvices secrets anglais s’intéresse aux meurtres qui ont eu lieu à Londres. C’est Gwendolen qui va dénoncer Peterson et son gang et ils seront arrêtés. Gwendolen pleure sur la disparition de son mari, mais au moment où elle fait ses adieux à Billy et Maria, elle reçoit un télégramme qui lui signale que son mari est en vie et qu’il a acheté le terrain que tout le monde convoitait.


Enfin ils vont pouvoir embarquer sur le Nangya

C’est un scénario complètement bâclé et qu’on a essayé de retaper par des scènes plus ou moins loufoques. Mais ça donne un film batard qui n’est pas assez délirant, ni pas assez sérieux. L’histoire est farfelue, ne tient pas debout. Et la seule originalité est que ce sont les femmes, Maria et Gwendolen, qui mènent le jeu, draguent les hommes ouvertement devant leur mari. Gwendolen ira meme jusqu’à désavouer publiquement Harry avec cette histoire de mallette. C’est bien suffisant. Pour le reste John Huston et Truman Capote recyclent des idées déjà vues un peu partout. Par exemple l’opposition physique entre un petit et un gros. Peter Lorre jouant le petit O’hara, et Robert Morley remplçant au pied levé Sydney Greenstreet dans le rôle du gros lard sournois et peureux. Cette chimère après quoi ils courent tous est évidemment calqué sur The maltese falcon. Mais on sait q ue les scénaristes s’inspirent très souvent des films précédents qui ont marché, ce n’est pas là la faute la plus grave.


Maria peint Harry Chelm

La structure du scénario pose de gros problèmes de continuité, certes on comprend qu’Ahmed ait libéré ces aventuriers, mais on ne sait pas comment ni pourquoi. Sa passion pour Rita Hayworth n’est guère suffisante. Dans The Maltese Falcon, le couple Syndey Greenstreet, Peter Lorre, était très ambigu et Humphrey Bogart se moquait de leur homosexualité potentielle. Ici rien de tel, on ne comprend guère par quoi le gang Peterson est lié. La cupidité n’est pas un argument suffisant. De même le personnage d’Harry Chelm n’est pas développé. Qui est-il vraiment ? la plupart des personnages sont de simples caricatures, Harry est Anglais selon les standards de l’imagination de qui n’est pas Anglais ! Le capitaine du navire est un ivrogne mal embouché, le Major Ross est une sorte de roquet qui veut tuer tous ceux qui lui résistent. Les femmes sont au nombre de deux seulement, mais elles ne suscitent pas le désir, malgré leur beauté évidente, elles inquiètent par leur instabilité chronique et le fait qu’elles soient un peu trop émancipé : leurs maris respectifs sont incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles. Cet aspect pour incongru qu’il soit dans le cinéma américain des années cinquante aurait pu etre intéressant. Mais rien n’est développé, et tout rentrera dans l’ordre, à la fin de l’aventure en bateau Maria retournera ver Billy et Gwendolen vers Harry.


Chelm est venu réclamer sa valise

Reste cependant deux thèmes intéressants ou du moins qui auraient pu l’être si le scénario avait été plus travaillé. D’abord le mensonge pathologique de tous les protagonistes, le menteur le plus extravagant étant le gros Peterson qui le fait même si c’est à son détriment. Ce mensonge permanent sème le trouble puisqu’on a l’impression que cet Eldorado promis n’existe pas vraiment, il devient une chimère qu’on poursuit pour passer le temps. C’est la logique du capitaine Achab dans Moby Dick, ou encore celle de Dobbs dans The Treasure of the Sierra Madre. Cette face singulière de la nature humaine mène à la seconde partie de la thématique hustonienne, l’échec ou à l’impossibilité de la victoire. L’entreprise est dérisoire, et c’est ce que veut dire le rire sardonique de Billy quand il découvre qu’Harry les a finalement tous doublés. Je passe sur les connotations un peu racistes que le personnage d’Ahmed apporte à l’histoire, les Arabes sont « naturellement » fourbes, vindicatifs, mais également manipulables car peu intelligents.


Chelm va chercher à réparer la chaudière

Ces dernières années on a tenté de réhabiliter ce film qui a une mauvaise réputation. On fait cela quand on a le sentiment d’être face à un grand réalisateur ou supposé tel. La réputation d’un metteur en scène censure souvent la critique, on le voit encore aujourd’hui avec Martin Scorsese ou Clint Eastwood dont n’importe quel navet est encensé à sa sortie. Incontestablement John Huston est un grand réalisateur, et même un de mes préférés ! Mais cela ne m’empêche pas de reconnaitre qu’une partie de sa filmographie très abondante n’est pas bonne aussi bien parce qu’il répondait à des commandes pour faire du fric que parce que le film avait fini par lui déplaire. Beat the Devil est réalisé par-dessus la jambe, peu soigné dans sa réalisation, techniquement inabouti. Certains ont voulu voir dans le choix des paysages italiens une grande maitrise, mais c’est l’inverse, les paysages italiens, la ville de Ravello, masquent la paresse du réalisateur.


Le bateau coule, il faut s’évacuer

C’est un film excessivement bavard qui donc va multiplier les gros plans où chacun débite son texte et ses bons mots dans un champ contrechamp paresseux. De temps à autre on trouve quelque petite coquetterie comme ces mouvements de grue qui captent le défilé des différents protagonistes dans la petite ville italienne. Huston s’est manifestement appuyé sur la photographie d’Oswald Morris, un technicien anglais avec qui il avait travaillé assez souvent. Celui-ci, souvent embarqué dans des grosses machines, comme par exemple The Guns of Navarone, mais sur des films plus subtils comme The Spy who Came in from the Cold, fera la photographie de sept films de John Huston, dont celle du fameux Reflexion in a Golden Eye. Mais ici ça ne fonctionne pas vraiment, ça ne sauve rien. Ce n’est pas mal filmé ou mal cadré, Huston et Morris connaissent leur métier, mais l’ensemble reste sans relief.


Les Arabes ont arrêté les étrangers qui ont débarqué chez eux

L’interprétation c’est évidemment d’abord Humphrey Bogart dans le rôle de Billy. Il fait du Bogart, mais il a l’air de s’ennuyer un peu. Il reste trop passif, dans une position qu’on a du mal à comprendre. Mais sans doute cela vient du scénario qu’il avait du mal à suivre. Derrière lui ça cabotine à tout va. D’abord Robert Morley qui dans le rôle de Peterson en fait des tonnes. Certes c’est un acteur qui n’a jamais fait dans la nuance jouant d’ailleurs presque toujours le même rôle. Howard Underdown qui interprète l’anglais Harry Chelm, est franchement mauvais, hésitant entre les grimaces et les froncements de sourcils. Peter Lorre, quant à lui, s’est mis en retrait, il reste comme absent de toute cette fantaisie. Ivor Barnard dans le rôle de l’irrascible Major Ross reste dans la caricature. C’est à Manuel Serrano que John Huston a confié le rôle d’Ahmed, il y met un peu de subtilité, mais ça ne relève pas l’ensemble.


Ahmed va interroger ses prisonniers

Les femmes qui sont perdues dans ce film d’hommes, semblent cependant croire à leur rôle. Il y a d’abord Jennifer Jones qui incarne Gwendolen. C’est une très bonne actrice, un peu trop oubliée. Elle a de l’abattage. Il est possible qu’elle ait pu voir dans ce rôle un échappatoire aux emplois dramatiques qu’elle occupait généralement, encore qu’elle a souvent pris des risques, non seulement dans des films comme Gone to Earth du couple Michael Powell Emeric Pressburger, ou Ruby Gentry de King Vidor ou encore Duel in the Sun du meme King Vidor. Ici elle est teinte en blonde pour se donner un aire un peu plus sulfureux, loin de son personnage de Song of Bernadette qui s’il lui rapporta un Oscar lui colla à la peau pour l’identifier à une femme un peu nunuche. Il y a également Gina Lolobridgida dan le role de Maria la pétulante brune qui rève de devenir anglaise. Elle aussi est très bonne. Elle n’était pas qu’un superbe physique, c’était aussi une actrice très douée. Mais tout cela ne suffit pas à relever l’ensemble.


Billy tente de s’échapper

Comme on le voit, il n’y a pas grand-chose à sauver de ce film. Les premières ont été mauvaises, et il a fallu raccourci le film pour le rendre plus comestible. Mais rien n’y a fait, les critiques ont été mauvaises à la sortie, et le public a boudé, malgré Bogart, la grande vedette de cette époque. Les tentatives de réhabilitation récentes ne m’ont pas convaincu. C’est juste un film à voir pour les nostalgiques du vieil Hollywood, ou pour compléter ses propres connaissances sur la cinématographie de John Huston.


Toute l’équipe rentre en Italie

Depuis longtemps il circulait des copies assez mauvaises de ce film tombé dans le domaine public. Mais depuis quelques années, ce film a été restauré dans de bonnes éditions en Blu ray ou en 4K. il existe en France, pour les exégèses de la filmographie hustonienne, une belle édition combo chez Rimini, guère onéreuse, plombée cependant par une interview de Patrick Brion qui ne tarit pas d’éloges sur ce petit film de seconde catégorie.


La police arrête la bande de Peterson



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