The hoodlum, Max Nosseck, 1951


Voilà un vrai film de série B, le film dure à peine une heure, et il est fait avec des bouts de ficelles, un budget des plus minuscules. Les acteurs sont un peu en bois, et les décors de studio sont des plus sommaires, c’est une production Eagle-Lyon, ce qui veut dire beaucoup de choses, parce que ce petit studio travaillait beaucoup dans le film noir. À côté de films de faible valeur, on trouve dans son catalogue de très bonnes choses. On lui doit les premières œuvres d’Anthony Mann dont les films rapportèrent beaucoup d’argent pour des investissements modiques. Mais peu à peu, payant trop cher des vedettes qui n’attiraient pas assez de public, le studio dû diminuer sa voilure, les budgets devenant de plus en plus modique, et puis les acteurs et les réalisateurs qui commençaient à se faire connaitre allaient se vendre ailleurs, cherchant de meilleurs budgets. La firme survivait grâce à ses activités de distributeur à l’étranger, notamment en Angleterre, où elle distribuait aussi d’autres studios plus huppés. La réalisation de The Hoodlum est due à Max Nosseck, un réalisateur allemand qui immigra aux Etats-Unis pour cause de nazisme, étant lui-même juif, il lui était difficile de rester dans son pays. Dans son nouveau pays d’adoption, il restera cantonné à des petites productions, puis il retournera en Allemagne où il travaillera pour la télévision. De sa carrière allemande qui semble avoir été brève avant que de venir aux Etats-Unis, on ne connait pas grand-chose. Mais ce qui est certain c’est qu’il n’avait pas l’aura d’un Fritz Lang, d’un Douglas Sirk ou même d’un Max Ophuls. Pourquoi se souvient-on encore un peu aujourd’hui de lui ? Essentiellement parce qu’il a tourné trois films avec Lawrence Tierney. Cet acteur extravagant qui était plus célèbre pour ses démêlées avec la justice que pour ses performances d’acteur, a trouvé plus de considération quand Quentin Tarantino l’utilisa dans Reservoirs Dogs pour le rôle de Joe Cabot. Lawrence Tierney tourna donc trois films sous la direction de Max Nosseck, trois films noirs de série B, Dillinger en 1947 qui eut un petit succès, Kill or Be Killed en 1950 et enfin The Hoodlum en 1951.


Vincent Ludeck est un bandit d’habitude

C’est l’histoire de la fatale destinée d’un bandit qui n’était pas fait pour la vie normale et qui, en rébellion contre la société se croyait plus fort qu’elle. On nous épargnera l’idée d’une ascension et d’une chute, pour se concentrer sur la fin d’un homme arrogant et vindicatif qui se croyait au-dessus des lois. Histoire un peu banale signée par Sam Neuman et Nat Tanchuck, une paire qui travailla assez souvent pour Eagle-Lion. Mais derrière cette apparente banalité, ils sont arrivés à introduire des nuances qui vont rendre ce film attachant à plusieurs titres. Si on a souvent souligné la noirceur terrible du personnage principal, on a oublié beaucoup de choses dans les commentaires. C’est cette mise en scène de caractères complexes qui va faire l’intérêt de ce film. Aux Etats-Unis où on a conservé le souvenir de ce film, on discute à perte de vue pour savoir si ce film est un simple film de gangsters ou s’il s’agit d’un vrai film noir. Arthur Lyons qui a analysé en long en large et en travers le film noir américain[1] avance le vocable de film de gangster noir. Pourquoi pas, encore que selon moi, c’est bien d’un film noir dont il s’agit et je vais essayer de le montrer.

Le directeur de la prison promet à Vincent la chaise électrique

Vincent Lubeck est un délinquant qui a commencé à opérer en dehors des lois dès son plus jeune âge. On retrace sa carrière de petit voleur, et bien entendu ses allers-retours fréquents vers les lieux de détention, des maisons de redressement à la prison. Il se discute donc d’une liberté conditionnelle au bout de cinq longues années passées en taule. Le directeur de la prison est contre, il pense que Vincent n’est pas amendable, mais sa mère vient plaider sa cause, et finalement elle vote pour sa conditionnelle. Avant qu’il ne soit élargi, le directeur invite Vincent à regarder ce qui l’attend, c’est-à-dire la chaise électrique. Mais Vincent n’en a cure. Il retourne donc rejoindre sa famille. Sa mère, son frère Johnny qui est fiancé avec la jeune Rosa et qui n’aime pas Vincent. Mais devant leur mère, les deux frères font comme si de rien n’était. Johnny s’engage même à faire travailler Vincent dans la petite station-service qu’il vient d’ouvrir. Vincent accepte ce travail parce que face à la loi, il doit travailler. Cependant les choses font prendre une pente fatale. Certes, il ambitionne d’avoir une autre vie que celle d’un petit employé dans une station-service, mais en face de celle-ci, il y a une banque. Rosa cependant, au prétexte de mieux accueillir Vincent, lui tourne autour et sans rien dire, elle va devenir sa maitresse, alors que n’étant pas mariée, elle se refuse encore à Johnny. Également, Vincent va faire aussi la connaissance d’une jeune femme, Eillen, qui travaille dans la banque en face de la station-service, il commence à sortir avec elle. Il observe sans le vouloir d’ailleurs les allers-venus d’un fourgon blindé qui vient livrer de l’argent. On voit également le policier Burdick venir tourner autour de Vincent, pour lui dire qu’il le surveille et que tôt ou tard il le coincera et le renverra en prison.


Vincent retrouve son frère qui le déteste et préférerait le voir en prison

L’idée de voler la banque lui vient naturellement. Lorsqu’il va pointer pour sa conditionnelle, il rencontre un de ses anciens camarades de taule, à qui il va proposer d’attaquer le fourgon, celui-ci refuse, mais quand il apprend qu’il s’agit de 500 000 dollars, il va s’y intéresser. Il réunit une bande de cinq personnes et prépare le coup. Mais les choses se compliquent parce que Rosa se sent délaissée et voudrait partir avec Vincent loi, dans un autre État où ils recommenceront une vie honnête. Mais Vincent s’en moque et ne veut pas poursuivre plus avant sa relation avec elle. Rosa va donc se suicider. L’autopsie révélera qu’elle était enceinte de deux mois des œuvres de Vincent. Bien entendu la police s’empresse de rapporter cette histoire à Johnny qui commence à soupçonner son frère. Peu importe le coup va se faire. Mais au moment de l’exécuter, Johnny revient à la station-service intempestivement et prétend appeler la police, Vincent l’assomme. Puis le coup se déroule. Bien qu’ils récupèrent le butin, la fusillade qui a éclaté entre les gangsters et les convoyeurs de fonds laissent plusieurs personnes sur le carreau. La bande s’enfuit évitant les barrages en se faisant passer pour des personnes allant à un enterrement. La police qui a compris que Vincent était à la tête du gang se lance dans une chasse à l’homme de grande ampleur. La question du partage du butin va se poser, et les associés de Vincent l’assomment et le dépouillent. Ayant fait le coup pour rien, il va essayer de se réfugier chez Eillen son ancienne maitresse, mais celle-ci arrive à le chasser de chez elle en le menaçant d’un revolver. Errant dans la ville, il va retourner vers la station-service où il va récupérer un veston. Mais la police est sur les lieux qui le guette. Il arrive néanmoins à éviter les flics en empruntant leur voiture. Il retourne vers sa mère qui est malade et alitée. Il a une longue conversation avec elle qui lui reproche d’avoir finalement ruiner la famille. Mais elle lui donne une sorte de pardon avant de mourir. Sur ces entrefaites, Johnny surgit, un revolver à la main. Il accuse Vincent d’avoir provoqué la mort de Rosa, et il prétend l’amener à la décharge publique pour le descendre parmi les ordures. Mais au dernier moment Johnny renonce, il ne peut pas tuer son propre frère ! La police dont le sinistre Burdick, arrive sur les lieux et tandis que Vincent tente de s’enfuir à travers les ordures, Burdick va le descendre d’une balle dans le dos.


A la station-service où il travaille il fait la connaissance d’Eillen

Si on s’attarde qu’au seul personnage de Vincent, on a juste le, portrait d’un homme violent, irrécupérable. Mais la subtilité du scénario nous montre qu’en réalité Vincent est une victime. En effet, il n’est même pas encore sorti de prison que le directeur de celle-ci le menace de la chaise électrique, son propre frère l’accueille comme un pestiféré, et c’est encore le policier Burdick qui vient le harceler jusque dans la station-service alors qu’il ne demande rien à personne. Je me demande d’ailleurs si ce n’est là le modèle du flic qui harcèle Alain Delon dans Deux hommes dans ville[2]. Il veut manifestement le pousser à la faute, et si possible l’éliminer, ce qu’il finira par faire. Si Vincent est une personne survoltée qui ne vaut pas grand-chose, le reste de la société, à part sa mère, ne vaut rien non plus. Les femmes sont particulièrement mauvaises. Rosa, sous ses dehors de sainte-nitouche trahit son fiancé afin de s’approprier Vincent. Débordée par ses propres penchants sexuels qu’elle ne maitrise pas, elle donne à Vincent ce qu’elle ne donne pas à Johnny. Eillen trahit sa propre banque en indiquant des détails sur le fonctionnement de la remise des fonds, et ensuite elle ne montrera aucun signe de loyauté envers Vincent. Si elle ne le dénonce pas, c’est seulement parce qu’elle a peur d’être accusée de complicité en ce qui concerne le hold-up.


Vincent va tenter de reformer une équipe pour attaquer le convoi de fonds

Le cœur du film ce sont les rapports entre les deux frères. On peut y voir une transposition du mythe d’Abel et Caïn. Selon les critères standardisés des Etats-Unis de cette époque, tout réussi à Johnny, et rien à Vincent. Et en effet, on comprend que Johnny a pu créer sa propre entreprise avec l’assurance du décès de son père, assurance dont Vincent n’a pas touché un cent. Leur mère manifeste une préférence pour le sage Johnny. Cependant la lutte entre les deux frères va être exacerbée à cause de Rosa. Johnny a très peur, dès le départ, que son frère exerce un attrait puissant, sexuel pour tout dire, sur sa fiancée. Et il ne se trompe pas. On le sait les femmes sont souvent attirées par des figures iconoclastes qui brisent les tabous. Certes elle prétend amender Vincent, mais y croit-elle vraiment ? Ayant renoncé, elle se suicidera mettant tout le monde dans l’embarras.


Les hommes de Vincent attendent l’heure du fourgon blindé

La mise en scène qui débute par une balade en voiture suivie d’un long flash-back est typique de l’esthétique du film noir. Bien entendu, elle est minimaliste à cause de son budget. Le film ne durant qu’une petite heure, il est incroyablement dense. Il s’appuie sur des astuces scénaristiques, par exemple l’attaque du fourgon blindé, ou encore la manière d’utiliser les pompes funèbres pour préparer la fuite de la bande. Mais comme c’est essentiellement du studio – à 90 % je dirais – et que les décors coûtent cher, Nosseck est obligé de filmer dans des espaces restreints pour ne pas dire confinés. Cette manière minimaliste de filmer le rapproche du cinéma expérimental ! Nosseck fait plus confiance au montage pour donner du rythme à son film qu’à ses possibles déplacements de caméra qui se limitent ici au strict minimum. De même, le budget étriqué oblige Nosseck à ne pas s’attarder sur le pathos. On ne verra pas la mort de Rosa, ni même celle de Vincent. C’est sanglant, mais on ne voit jamais de sang ! Ce qui donne une allure finalement très sobre à la mise en scène. Bien sur la morale du type le crime ne paie pas, est présente, du moins officiellement, dans le discours, mais la façon dont cette pédagogie intervient, dément nettement l’intention du metteur en scène ; comme s’il mentionnait cette morale pour ne pas avoir d’ennuis avec la censure !


Les associés de Vincent ne veulent pas de son partage du butin

La distribution, c’est d’abord Lawrence Tierney par son temps de présence à l’écran. Il est le « vaurien » – traduction très approximative de « hoodlum ». C’est évidemment le caractère monolithique de cet acteur qui lui donne une sorte de particularité. Sa brutalité laconique est finalement expressive, même s’il a du mal à bouger son corps. Dire qu’il est bon est exagéré, ce n’est pas James Cagney le héros de White Heat dont manifestement le scénario s’est inspiré, avec les rapports mère-fils. Il est ici appuyé par son propre frère, Edward Tierney, dans le rôle de Johnny. Les Tierney étaient une curieuse famille. Le père était policier à New York, mais trois de ses fils feront du cinéma et seront impliqués dans des affaires de justice importantes. Ils étaient également tous les trois des athlètes de haut niveau. Des Trois, c’est Scott Brady qui a fait la meilleure carrière, lui aussi dans le film noir, et c’est Edward Tierney qui, bien qu’il soit convaincant dans la haine qu’il manifeste pour son frère, comme si cela lui rappelait des vieilles histoires de famille, fera une carrière d’acteur des plus médiocres, principalement à la télévision. Car contrairement à ce qui est dit, Lawrence Tierney tournera régulièrement, bien que son ivrognerie finisse pas le confiner dans des rôles de faire valoir, comme chez Tarantino d’ailleurs.


Eillen ne veut plus de lui

Les autres acteurs ne sont pas très bons. Lisa Golm incarne sans trop de conviction la mère de Vincent et Johnny, elle surjoue. Les deux femmes, Allene Roberts dans le rôle de Rosa, et Marjorie Riordan dans celui d’Eillen sont assez pâlichonnes. On note encore le peu charismatique Start Randall dans le rôle du policier qui à la fin assassinera Vincent d’une balle dans le dos.


Sa mère est en train de mourir

On ne peut pas dire que ce film relève de l’excellence, mais curieusement il se révèle attachant et intéressant, malgré ses défauts. Il faut ici déplorer que ce film qui est pourtant aujourd’hui dans le domaine public ne soit pas réédité dans une édition convenable. On en trouve une cependant en anglais sur le marché américain, mais sans sous-titres et sans bonus, soit chez Alpha Studio, soit chez Reel Vault. Il est vrai que la photographie n’est pas particulièrement bonne, sans être mauvaise, et aussi qu’il doit être difficile d’en trouver un master de bonne qualité. Pour le reste ce film peut être vu sur la toile, avec des sous-titres et même en version colorisée !


Le policier Burdick tue Vincent en lui tirant dans le dos



[1] Arthur Lyons, Death on the Cheap, The Lost B Movies of Film Noir, Da Capo Press, 2000


[2] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/deux-hommes-dans-la-ville-jose-giovanni.html

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