Target, Arthur Penn, 1985
Ce film est la troisième et dernière collaboration entre Gene Hackman et Arthur Penn. En vérité tous les deux sont, en 1985, dans le creux de la vague. Certes Gene Hackman a pu tourner dans des grosses productions, comme les Superman ou A Bridges too Far, mais peu de choses prestigieuses. Il va se réorienter, et retrouver le succès à la fin des années quatre-vingt en acceptant de se déclasser, c’est-à-dire en devenant une sorte de second rôle de luxe. Arthur Penn, lui, a enchainé les échecs. Missouri Breaks a été très mal accueilli aussi bien par le public que par la critique, malgré – ou à cause – des deux cabotins en roue libre, Jack Nicholson et Marlon Brando. Four Friends qui essayait de retrouver la veine de Alice’s Restaurant, est sorti en 1981 dans une grande indifférence. Ce dernier échec va l’éloigner pendant quatre ans des studios. C’est dans ce contexte qu’il va essayer de revenir vers le succès en mettant en scène un film d’espionnage presque traditionnel. Cependant, nous sommes maintenant à la fin de la Guerre froide, et on ne peut plus présenter les agents des pays de l’Est comme de simples monstres, James Bond est devenu une franchise totalement déconnectée de tout lien avec la réalité, et tourne opus après opus à la pantalonnade pour adolescents attardés. Les pays de l’Est sont représentés comme des lieux mystérieux, avec des êtres humains différents des occidentaux. Et les auteurs les plus audacieux, comme John Le Carré avec The Spy Who Came in from the Cold, vont s’efforcer de rompre avec cette idée, montrant combien la lutte entre les services secrets ne mène pas à grand-chose[1]. Dès lors la CIA, au fur et à mesure que les populations découvrent ses exactions – notamment après la défaite des Etats-Unis au Vietnam – devient une sorte de nœud de vipères aux intentions et aux pratiques louches, distinguées d’une saine logique de guerre. Le scénario est écrit à plusieurs mains, chacune sans doute ajoutant son grain de sel pour faire rebondir l’action.
À l’aéroport, Walter est menacé
Walter Lloyd, à la tête de sa petite entreprise, vit paisiblement à Dallas avec son grand fils qui cherche son indépendance, et sa femme Donna. Celle-ci décide de partir en voyage organisé à Paris, Walter ne le veut pas. Donna avant de partir donne ses recommandations à Walter et Chris afin qu’ils améliorent leurs relations. Pour cela les deux hommes décident d’aller faire une partie de pêche. Mais rapidement, ils vont apprendre que Donna a disparu, sans doute peut-être même enlevée. Chris décide de partir à sa recherche, contre les avis de son père. Mais finalement ils partent tous les deux. A l’aéroport de Paris, Walter est victime d’un attentat, un certain Henke lui présentant un bijou appartenant à sa femme, en face de lui, un autre sbire tente de le tuer. Heureusement ses réflexes font que c’est son agresseur qui est tué. Sous la pression de son fils, Walter avoue qu’il ne s’appelle pas Walter Lloyd et qu’il est un ancien de la CIA, ayant par le passé fait des choses assez peu avouables, mais aujourd’hui retiré de cette profession. Ils vont se rendre à l’ambassade des Etats-Unis où Walter pense pouvoir rencontrer un certain Taber qui pourra l’aider à retrouver sa femme. Après avoir échappé à un autre attentat grâce à son fils Walter, il a une nouvelle réunion avec Taber et Clay qui est chargé d’assurer plus ou moins sa protection. Après avoir déjoué la surveillance de Taber, Walter et son fils vont se rendre en Allemagne. Sur le chemin de Hambourg, Chris retrouve une fille, Clara, qu’il avait déjà rencontrée à Paris et qui semble très attirée par lui. À Hambourg, Walter doit rencontrer une fille, Lise, avec qui il a eu une relation et avec qui il avait travaillé, mais qui pourra lui donner des renseignements utiles.
Grace à son fils, Walter échappe à un attentat
À Hambourg ils sont cependant pris en chasse de nouveau par des individus assez mal identifiés, notamment un violoneux qui joue un concerto de Mendelssohn. Avec Lise il commence à comprendre deux choses, d’abord qu’une des dernières opérations qu’il avait effectuées était l’élimination de la famille de Schroeder, un espion russe de l’Est. Mais aussi que quelqu’un tente justement de l’empêcher de rencontrer ce même Schroeder. il va rencontrer un autre individu, dit le colonel, qui doit lui fournir des renseignements. Mais celui-ci est malade. Walter pense qu’il doit se rendre à Berlin où sans doute Schroeder exigera d’échanger sa vie contre celle de sa femme. A la pension Marie Louise, cependant, il va être victime d’une nouvelle tentative de meurtre, alors que son fils Chris qui devait surveiller les abords, s’est fait piéger par la jeune Clara qui menace de le tuer. Mais Walter a de la ressource, et faisant plus confiance à son professionnalisme qu’à son fils il va mettre hors-jeu son assassin. Il va pouvoir passer à Berlin-Est. Il finira par rencontrer Schroeder et s’expliquer avec lui. En vérité la famille de Schroeder, sa femme et ses deux enfants ont été assassiné par un agent double qui craignait que son double jeu soit repéré. Bref, le traitre est cet infame Taber qui apparait soudain à Berlin-Est, avec Clay. Walter et Chris découvre Donna, ficelée dans des explosifs. Ils vont la délivrer, mais surgit Schroeder et un de ses hommes qui vont finir par prendre Taber et le mettre à la place de Donna. Walter, sa femme et son fils ont juste le temps de s’éloigner, Schroeder s’est fait sauter avec tout l’entrepôt.
Barney explique à Walter que
la CIA va le protéger
L’histoire est complètement invraisemblable bien entendu.
Mais c’est souvent le lot des films d’espionnage, même quand ils se veulent
éloignés des fantaisies ridicules à la James Bond. Deux points grossiers sont à
relever. D’abord bien sur cet agent des pays de l’Est, Schroeder, qui ourdit
une vengeance des plus compliquées, alors qu’il aurait envoyé un simple tueur à
gages, l’affaire eut été réglée bien plus facilement et plus rapidement.
Ensuite il y a cette idée loufoque d’une équipe improbable entre un père,
ancien espion chevronné habitué des coups durs et son imbécile de fils qui va
tout faire pour mettre en danger son père ! Cette fille Clara le berne
tellement facilement que ça en devient grossier. Dès que le spectateur qui lui
n’a pas sa mère à délivrer, commence à la voir tourner autour de Chris, il a
compris qu’elle était un ennemi. Tellement obsédé par sa queue, le même Chris
se détourne des consignes de son père et change de destination. On veut bien
qu’il soit un peu idiot, mais là c’est assez grossier. D’autres
invraisemblances jalonnent ce récit, la facilité qui fait qu’il est si facile
de passer de l’Ouest à l’Est, sans même que les « communistes » n’y
fassent attention, ou encore que la CIA mobilise autant de monde pour
cette histoire.
Walter menace son poursuivant, et s’aperçoit qu’il s’agit d’un homme de la CIA
Il est bien rare en effet que les films d’espionnage soient réalistes, ils seraient probablement ennuyeux. Laissons tout cela de côté et regardons plutôt ce que nous veulent dire les auteurs. Il y a d’abord le thème traditionnel d’un homme rattrapé par son passé. Et en effet, Walter avait même changé de nom, d’identité pour que tout soit plus ou moins effacé. Et donc il se retrouve dans la situation singulière où lui et sa famille possèdent au moins deux identités. Quelle est la « vraie » ? A voir la manière rapide et professionnelle avec laquelle il réagit, on se dit qu’en vérité il n’a jamais cessé d’être un espion, et qu’il est bien content d’y replonger, fut-ce pour sauver sa femme. Il fait tout ça en souriant, même lorsqu’il annonce à son fils que peut-être il devra donner sa vie pour sauver sa mère. Tout ça n’est pas très sérieux, et le jeune Chris prend d’ailleurs tout à la rigolade, il est très content que son père soit un espion.
A Hambourg il se rend auprès de Lise qu’il a connue autrefois
La contrepartie est une approche fantaisiste des rapports au sein d’une famille. Si au début du film on voit que les rapports entre Walter et son fils sont un peu tendus, à la fin, la famille sera réunie et tout le monde d’aimera. En fait c’est l’image du père qui est mise en question par le comportement du fils, et la logique veut que le père passe une sorte d’examen pour faire ses preuves qu’il est digne d’être le père de Chris ! Pour devenir père vraiment quand on a un adolescent, rien ne vaut que de faire l’espion ! Et bien entendu sa marche, Chris ouvrira des yeux émerveillés en regardant les exploits de son père. Tandis que lui reste une sorte de gamin irresponsable, voir comment il se comporte avec Clara. Et la mère là-dedans ? Existe-t-elle ? Elle aussi apparait un peu irresponsable, mais elle n’est qu’un objet qui doit être sauvé par les mâles, le père et le fils. Elle ne manifeste aucune amertume, et finalement assez peu de peur, lorsqu’elle est ficelée sur une chaise, prête à être explosée, on se dit qu’elle a une confiance inébranlable en son mari, elle attend manifestement qu’il vienne la sauver. Il y a trois femmes dans ce film, la quasi sainte mère Donna, martyre d’occasion, qui est parfaite comme le dit Walter. Puis la perverse et vicieuse Clara qui se sert de ses appâts pour arriver à des buts assez scabreux. Et entre les deux, il y a Lise. C’est la femme forte et équilibrée, la jeunesse de Walter. Évidemment entre Lise et les deux autres, il y a un écart important. Lise c’est la femme à qui on peut tout dire, celle qui a partagé ses combats. Elle est intelligente, elle a du sang froid et sait réagir.
A Hambourg, Walter et son fils échappent encore à leurs poursuivants
Parlons cinéma. La réalisation est très appliquée, et l’ensemble va donner lieu à des scènes d’action très tendues. C’est ce qui fait oublier l’indigence du scénario. Il y a des attentats, des explosions, des poursuites en voiture, le clou du film étant la longue poursuite à Hambourg. C’est la mieux filmée des scènes d’action. Il y a de l’ampleur du rythme et du volume. L’attentat contre Walter dans les rues de Paris, une mitraillade, est un peu bâclé, la scène étant trop découpée. Il y a une bonne utilisation des décors naturels. Certaines scènes, notamment dans les aéroports sont assez étriquées, avec trop de plans rapprochés. L’ensemble reste propre, sans extravagance ni beaucoup d’originalité, comme s’il ne s’agissait là que d’une commande qu’il fallait fournir au moindre cout.
Lise dit à Chris de se rendre à Berlin
L’ensemble manque manifestement d’empathie avec ses personnages. Ils manquent singulièrement d’épaisseur, sauf peut-être quand Lise et Walter se jouent un air de nostalgie, sur le thème selon lequel en d’autres circonstances, cela aurait été un grand amour. Dans cette scène curieuse, les deux anciens amants se confient, alors que Chris est couché au-dessus d’eux et n’en perd pas une miette. Comme si le fils devait se féliciter des coucheries de de son père ! La scène où le tueur torture le colonel, en le privant d’oxygène, ne trouve pas son rythme propre. On pourrait dire qu’elle n’est pas assez cruelle ou horrifique, alors que le personnage qui mène la danse a une figure tout à fait répugnante qui devrait faire peur. Ça manque de dosage. La multiplication des décors, passant d’une ville à une autre, fait penser un peu à cette forme de tourisme cinématographique qu’on a beaucoup vu dans les années soixante-dix dans les Europsy, dont le marché était dominé à cette époque par les Italiens.
L’assassin aux lunettes tente de faire parler le colonel
L’interprétation est fondée sur le duo Gene Hackman-Matt Dillon. Les deux sont de bons acteurs. Mais ils sont souvent à contretemps, Gene Hackman ne semble manifester aucune inquiétude. Tandis que Matt Dillon hésite entre l’admiration qu’il doit à son héros de père, et sa nécessaire rébellion. Il sourit très souvent d’une manière imbécile. C’est une coproduction américano-européenne. À leur côté, on trouve des acteurs assez anodins, des seconds couteaux, que ce soit Josef Sommer dans le rôle de Taber ou Guy Boyd dans celui de clé. Herbert Berghof est Schroeder avec pas mal d’intensité, et Jean-Pol Dubois incarne un parfait assez, jouant astucieusement de son physique singulier. Mais ce ne sont là que de tout-petit rôles, des faire-valoir.
Carla qui suit Chris comme
son ombre l’a piégé et le menace
Les femmes, c’est un peu mieux, si Gayle Hunnicut est assez
en retrait, on ne la voit pas beaucoup, puisqu’elle est enlevée dès le début du
film, Viktorya Fiodorovo dans le rôle de Lise est vraiment excellente, elle
apporte pas mal de tonicité à un ensemble qui en manque beaucoup. Ilona Grubel
est la perverse Carla, elle est très bien et crédible. Toutes les deux on un
charme évident.
Walter va avoir enfin une
discussion avec Schroeder
Le film ne fut pas un succès commercial, mais avec le temps il a amorti ses frais, et il a fini par rapporter de l’argent. C’est pour cette raison qu’on le trouve assez facilement en Blu ray, mais sans sous-titres français ! C’est bien dommage. Car si ce film est loin d’être un chef d’œuvre, il est reste prenant de par son rythme échevelé qui tient le spectateur en haleine.
Taber et Clay sont aussi passé à Berlin Est
Ils ont enfin retrouvé Donna
Schroeder a piégé Clay et va le tuer
Schroeder s’est fait sauter avec Clay
[1]
Bien que le thème d’une équivalence entre les services secrets et l’Est et de
l’Ouest soit un thème traité bien avant John Le Carré, c’est avec ce livre
qu’il deviendra populaire, sans doute parce que cela correspondait à
l’évolution géopolitique de l’Occident. C’est pourquoi on considère souvent le
livre et le film que Martin Ritt en a tiré comme emblématique d’un changement
profond dans la représentation de l’espionnage.
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