La fugue, Nights Moves, Arthur Penn, 1975
Gene Hackman qui vient de nous quitter, s’est retrouvé finalement assez souvent dans des films noirs. a commencer par l’excellent French Connection qui innova en la matière, tant sur le plan de la thématique que de l’esthétique. En 1975 il est au sommet de la vague. Il vient d’ailleurs de tourner une suite à French Connection sous la direction de John Frankenheimer, qui, sans etre aussi colossal que le premier opus, est un bon succès. Il a contribué coup sur coup aux deux derniers Palmes d’or, The Scarecow et The Conversation. Autant dire que c’est l’acteur sur lequel on mise et qui passe avec facilité du film d’auteur à la grosse production. Arthur Penn, quant à lui, n’a pas tourné depuis Little Big Man en 1970. Mais le succès a été exceptionnel, commercial et critique, devenant rapidement emblématique du renouveau du cinéma américain des seventies. Et donc on se dit que cet alliage doit forcément fonctionner. Cependant Arthur Penn est souvent très inégal et rarement très bon, mais ça peut lui arriver par exemple avec The Chase[1]. Le scénario est dû à Alan Sharp qui vient juste de signer celui d’Ulzana’s raid de Robert Aldrich qui a été un bon succès, mais surtout dont l’originalité a été reconnue par la critique. Il sera beaucoup moins heureux par la suite, et à part le très bon scénario d’Osterman Weekend réalisé par Peckinpah, un film trop sous-estimé[2] on ne voit pas trop ce qu’il a vraiment apporté au cinéma. La gestation de cette œuvre n’a pas été de soi. D’abord, ce projet n’était pas un projet personnel d’Arthur Penn, il devait être réalisé par Sydney Pollack qui avait une réputation tout de même plus lisse par rapport au système hollywoodien. En vérité le film aurait été tourné en 1973 et n’est sorti que deux ans après, ce genre de délais signifie qu’il y a eu des problèmes, et que le studio ne croyait pas trop à son succès. À sa sortie il n’aura pas de succès, mais depuis, il a pris le statut d’une sorte de classique du film noir, classé néo-boit parce que c’est en couleurs, on va voir cependant que même du point de vue esthétique, les références au bon vieux film noir sont très nombreuses.
Harry va être engagé pour retrouver la fille d’Arlene
Harry Moseby est un ancien joueur de football américain,
reconverti détective privé. Il va être engagé par une actrice qui ne tourne
plus pour retrouver sa fille qui a seulement seize ans et qui a fugué. Le soir
en allant attendre sa femme à la sortie du cinéma – elle a été voir un film de
Rohmer – il la surprend en train d’embrasser un homme. Il prend celui-ci en
filature, puis rentre tranquillement chez lui. Sa femme lui ment, mais il passe
outre et continue son enquête. Il va rencontrer un certain Quentin, un des
anciens amants de Delly. Celui-ci qui est aussi mécano, s’est fait casser la
gueule par un cascadeur nommé Marve Hellman. Harry va le voir, et il apprend
que Delly se faisait monter par tout ce qui a un pantalon. Il va cependant
rencontrer l’amant de sa femme, un certain Marty Heller, la conversation tourne
à l’aigre, sans toutefois qu’il y ait une bagarre. Harry va suivre la piste
d’Iverson qui est en fait le beau-père de Delly. Et là, bien entendu, il va
retrouver la fugueuse en Floride. Iverson vit assez misérablement avec une
certaine Paula, mais il s’est aussi semble-t-il tapé sa belle-fille. Cependant
il souhaite que Harry la ramène à Los Angeles, car elle lui pose trop de
problème. En effet, nymphomane, elle tente aussi de séduire Harry ! Mais
avant de partir, Harry découvre alors qu’il fait du bateau avec elle, qu’un
avion s’est écrasé en mer. Paula dit qu’elle va signaler l’accident aux
garde-côtes. Avant de repartir vers Los Angeles, Harry et Paula couchent
ensemble.
Harry surprend sa femme en train d’embrasser son amant
À Los Angeles Harry encaisse son chèque, puis finalement se rabiboche avec Ellen. C’est celle-ci cependant qui va lui signaler la mort accidentelle de Delly. Cet accident a eu lieu dans la voiture du cascadeur Joey Ziegler. Et celui-ci a été gravement blessé. Tout cela indique à Harry que l’affaire n’est pas terminée. il va visionner avec Joey des films sur l’accident, soupçonnant que la voiture ait pu être sabotée. Il va voir Arlene, car c’est elle qui va hériter du pactole légué par son premier mari à sa fille. Mais celle-ci complètement ivre le fout à la porte sans ménagement. Il va retourner voir Quentin, le mécano. Mais celui-ci lui file entre les doigts après lui avoir laissé entendre qu’il y avait anguille sous roche. Dès lors il n’a plus que le choix que de retourner en Floride pour essayer de comprendre ce qui se passe. En arrivant chez Iverson et Paula, il va trouver tout d’abord le cadavre de Quentin. Il va avoir une explication orageuse avec aula qui avoue que le cadavre dans l’avion tombé en mer et celui du cascadeur Merv Ellman. En vérité il faisait avec Paula et iverson le trafic d’œuvres d’art du Yucatan jusqu’en Floride. Paula et Harry vont récupérer la pièce encore dans l’avion. Mais alors que Paula a plongé, un hydravion piloté par Joey surgit et mitraille Harry qui est blessé. Puis il fonce sur Paula et la tue. L’avion cependant s’abime et Joey se noie. Harry blessé reste seul à bord du petit bateau qui tourne en rond, sans qu’on sache si Harry sortira vivant ou non de cette aventure.
Quentin, l’ancien petit ami de Delly refuse de parler à Harry
A part la fin qui est complètement ratée, l’histoire est une histoire solide de détective de type chandlérien. Le détective est solitaire et trompe sa solitude en enquêtant, puis en jouant aux échecs. La référence à Marlowe est évidente. C’est du classique. Il y a donc deux histoires, l’une qui concerne Arlene qui vit aux crochets de sa fille et qui pourrait vouloir son héritage, et l’autre, un trafic d’œuvres d’art. ce dernier thème on peut le trouver aussi chez Dashiell Hammett dans The Maltese Falcon. On retrouve même la jeune nymphomane qui était déjà chez Raymond Chandler dans The Big Sleep. Également le bureau d’Harry est semblable à celui de Marlowe, avec sa fenêtre en arcade, protégée par un volet à jalousies. Il y a des allusions à Humphrey Bogart quand Paula se rappelle la dernière personne qui la touché les seins, il s’appelait Billy Dannreuther, c’est-à-dire le nom du personnage que l’acteur incarnait dans Beat the Devil, le film de John Huston.
Pour tromper l’attente, Harry rejoue de vieilles parties d’échecs
L’atmosphère de ce film c’est celle d’un film noir remis au gout du jour, c’est-à-dire celui de la révolution sexuelle et des extravagances qu’on a pu connaitre à cette époque. Trois exemples de cette tendance post-soixante-huitarde. D’abord Harry, manifestement un homme à l’ancienne, pas du tout déconstruit, ancien footballeur, reste relativement passif face à l’amant de sa femme, l’alors qu’intérieurement il bout de lui casser la tête. Helen se lancera dans un discours assez scabreux pour justifier son infidélité, comme si c’était Harry le coupable. Ensuite, il y a le personnage de Delly. Cette jeune fille qui couche avec tout ce qui porte un pantalon, n’a que seize, or le film expose sans plus de recul les rapports pédophiles qu’elle a avec son beau-père. C’est elle qui devient la prédatrice en quelque sorte, sans doute d’une manière naïve, mais le fait est qu’elle veut prendre le pouvoir.
Harry surprend l’amant d’Helen
Bien entendu Arthur Penn n’approuve pas, mais présente ça
comme une simple extravagance d’adolescence. Il y aura polémique sur cette
question, puisque Delly est incarnée par Mélanie Griffith qui avait exactement
l’âge du rôle et qui se montre dans le plus simple appareil. L’ambiguïté du
film est que de ses extravagances sexuelles, la jeune adolescente sera
sévèrement punie. Plus incongru encore, voilà Paula qui est semble-t-il la
régulière d’Iverson, vient trouver Harry dans son lit, sans égard pour Iverson.
La famille tuyau de poêle semble la norme, et seul le Quentin bafoue cette
nouvelle règle. Le spectateur comprenant que s’il est jaloux c’est parce qu’il
est mauvais et non l’inverse. Bien entendu, le film noir est propice à
l’évocation des turpitudes sexuelles qui souvent sont avec la cupidité le
moteur de l’intrigue, mais ici c’est utilisé dans un sens renversé. Cela
conduit Arthur Penn a alourdir son récit d’une sorte de bavardage sur la
révolution sexuelle et donc le rythme va se perdre. Si le film noir a été un
véhicule pour l’émancipation féminine, ici nous voyons des femmes, toutes, qui
terrorisent les hommes. Que ce soit Arlene qui fait de propositions salaces à
Harry, ou que ce soit Helen qui le fait tourner en bourrique et même Paula une
femme costaude qui fait de la plongée sous-marine car Harry en est incapable.
L’ambigüité de Penn qui a été un chantre de la révolution culturelle des
seventies, est qu’on ne sait jamais s’il approuve ou s’il condamne.
Harry a retrouvé Delly en Floride
Dans cette configuration les hommes, sous leur apparente virilité sont faibles, tous, sans exception, y compris le cascadeur Merv Ellman. Helen préférera un moment le faible et efféminé Marty à son costaud de mari. Mais toutes ces discussions éloignent de l’intrigue proprement dite, c’est ce qui fait que le film s’effiloche au fil des minutes. On comprend bien que Penn a voulu éviter le film d’action, mais ce faisant, il émascule son héros qui n’a pas l’air de comprendre ce qu’on attend de lui. Certains dans les années récentes ont présenté cela comme un tournant décisif, non seulement en ce qui concerne le film noir, mais tout le vieil Hollywood. Les allusions au cinéma pullulent, mais toujours dans le sens d’un dénigrement. Arlene est une actrice ratée qui a fait un riche mariage et qui depuis noie sa dépression dans le whisky. Le petit milieu des cascadeurs et des techniciens est tout aussi pourri, ils combinent pour voler, mais se comportent mal avec les jeunes femmes qui sont éblouies par des paillettes. C’est un milieu de minables et d’escrocs, mais en fait c’est bien aussi le milieu d’Arthur Penn ! Souvent le cinéma a pris le cinéma pour cible ou pour sujet, histoire de nous faire part de aigreurs d’estomac du scénariste et du metteur en scène. C’est bien rabâché. Il y a une allusion à Ma nuit chez Maud, le film d’Éric Rohmer. Évidemment Harry n’aime pas ce genre de film, il y préfère un bon match de football américain ! Tandis que sa femme et son amant au contraire trouve ça génial. La charge est lourde et sans doute inutile, redondante avec tout ce qu’on a pu déjà déverser sur le héros qui est un homme du passé, peu adapté aux nouvelles valeurs.
Iverson qui a eu une liaison avec la jeune Delly souhaite qu’Harry l’emmène
Parmi les sous-thèmes de ce film, il y a le pillage des œuvres d’art du Mexique. C’est une allusion évidente à l’impérialisme étatsunien qui a cette époque est farouchement critiqué. Mais ce trafic est mené et approuvé par Paula qui dans son désenchantement critique avoue avoir fait tous les métiers, y compris la pute. Cette posture désabusée c’est d’ailleurs ce qui mènera par la suite à l’élection du mauvais acteur de série B, Ronald Reagan, qui lancera une révolution néolibérale, dérégulation tous azimuts, qui fabriquera le monde décomposé dans lequel nous sommes vautrés aujourd’hui. Le film est souvent saturé de stéréotypes, Marty écoute de la musique classique, et cette brute d’Harry aime le football américain. L’allusion à Rohmer est un autre stéréotype soulignant que les Européens seraient plus sophistiqués que les Etats-Uniens.
Delly s’est finalement décidée à suivre Harry
Sur le plan cinématographique proprement dit, il n’y a presque rien a en dire. Il est vrai qu’Arthur Penn n’a jamais été un grand technicien, je veux dire quelqu’un qui a la grâce de transfigurer une histoire un peu bancale. Il fait généralement plutôt confiance à l’histoire et se laisse porter par elle. C’est le cas ici. La photo est bonne, sans plus, elle est due à Bruce Surtess, le photographe attitré de Clint Eastwood pendant quinze ans. Il connait son métier, mais ne sait guère tirer parti des couleurs pourtant très variées entre la Californie et la Floride des keys. Les décors sont plutôt bien choisis, mais rien n’évoque une poésie au-delà. C’est filmé un peu platement, avec un montage serré, trop serré, car cela nous fait souvent perdre le fil. Mais le rythme n’est pas bon, si la première partie est un peu plan-plan, la seconde souffre d’un grave effet de dispersion.
L’interprétation c’est un peu mieux. Gene Hackman dont c’était la seconde collaboration après Bonnie and Clyde, ou il n’avait qu’un rôle marquant, mais secondaire, est évidemment la tête d’affiche, et dans le rôle d’Harry Moseby, il est présent du début jusqu’à la fin, ce qui d’ailleurs donne une allure un peu subjective au film puisque le spectateur ne voit l’intrigue que par ses yeux. Il n’est pas mauvais, car il n’est jamais vraiment mauvais, mais c’est loin d’être son meilleur rôle. il fait passer assez bien ses états d’âme, aussi bien ses satisfactions de courte durée, que ses déroutes. Il semble bouillir un peu cependant, comme s’il attendait que quelque chose se passe dans l’histoire qu’il est en train de tourner.
Helen et Harry se sont réconciliés
Les portraits de femmes sont très soignés. J’ai une préférence cependant pour Mélanie Griffiths qui incarne la dévergondée Delly, mélange d’impudeur et de naïveté, elle n’avait que seize ans. Mais les autres femmes sont très bien aussi, à commencer par Jennifer Warren dans le rôle de Paula. Abonnée aux séries télévisées, elle ne trouvera guère de rôles de premier plan. On la retrouvera toutefois en 1977 dans Slap Shot aux côtés de Paul Newman. Elle a sans doute été choisie à cause de son physique robuste, une femme qui ne se laisse pas faire. Il y a aussi Janet Ward qui incarne Arlene avec beaucoup d’intensité. Susan Clark dans le rôle de l’épouse vindicative d’Harry est pourtant un peu éteinte.
Joey a été gravement blessé dans l’accident qui a couté la vie à Delly
Chez les mâles, celui qui se fait le plus remarquer, c’est
James Woods dans le rôle du fourbe Quentin, son rôle est étroit, mais cela lui
suffit pour s’imposer. Le reste de la distribution n’est pas très remarquable.
Mais il n’y a pas grand-chose à en dire. Le plus mauvais est sans doute Harris
Yulin qui incarne l’amant d’Helen. Il est vrai que son rôle n’est pas facile,
devant jouer un homme absent de lui-même, habité par sa féminité ! On se
demande comment une femme peut nourrir des illusions à l’endroit d’un tel
tableau.
Arlene, ivre, éconduit Harry de façon grossière
Le film n’a pas eu de succès, mais comme maintenant un réalisateur qui a fait quelques très bons films, voit l’ensemble de sa filmographie validée sans plus de recul. Non, ce n’est pas un classique du genre, il a bien trop de défaut, mais cependant il se voit tout de même sans trop d’ennui, un peu comme un produit de série. Au fond c’est un peu le même échec que The Long Goodbye, à force de vouloir prendre de la distance avec le genre, on finit par enfoncer des portes ouvertes, en faisant une sorte de pédagogie dont pourtant le spectateur n’a que faire.
Harry retrouve Quentin, et comprend qu’il y a une autre histoire
On trouve de bonnes éditions Blu ray sur le marché du numérique, malheureusement sans sous-titres français, ni sans présentation. Il est possible que la Warner se décide de rééditer ce titre, ne serait ce que pour rendre hommage à Gene Hackman.
Alors que Paula a plongé pour
retrouver la statue, un avion fonce sur elle
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