Disparition d’Yves Boisset
Yves Boisset est décédé le 30 mars 2025 à l’âge de 86 ans. J’aime
un bon nombre de ses films et aussi son personnage. Dans les années soixante-dix,
il incarnera un cinéma populaire et engagé, en quelque sorte dans la continuité
de Mai 68, mais avec une autre rhétorique. Ne dédaignant pas le film de genre,
il travaillera beaucoup dans le film noir. Il tournera seulement une vingtaine
de films, dont la moitié dans les années soixante-dix. Il se tournera ensuite
vers la télévision où il traitera de sujets beaucoup plus éclectiques, avec
toujours un point de vue engagé à gauche, l’affaire Dreyfus, Jean Moulin, la
bataille d’Alger. Il avait appris son métier en tant qu’assistant-réalisateur
auprès de Riccardo Freda, Jean-Pierre Melville et même René Clément, mais aussi
avec Robert Hossein sur La nuit des espions. Sa carrière qui commença
sérieusement avec le cinéma italien – il avait remplacé Ricardo Freda sur un
Coplan puis tourna une sorte de poliziottesco, Cran d’arrêt d’après un
roman de Scerbanenco – connu des hauts et des bas. Mais ce qui le révéla sur le
plan critique et commercial c’est le très bon Un condé[1]
qui reprenait en quelque sorte la critique d’une police violente et sans
scrupule là où Melville l’avait laissée dans Le deuxième souffle quand
il avait dû couper la partie où Fardiano pratique la torture de l’eau sur l’ainé
des frères Ricci. Ce film connut le succès et donna un second souffle à la
carrière de Michel Bouquet.
Si Le saut de l’ange est assez raté[2], L’attentat
inspiré de l’affaire Ben Barka, affaire qui fit vaciller la Vème
République, est assez bien travaillé[3],
jouant volontiers avec une pléiade de grands noms de l’époque, développant un
aspect choral très intéressant. R.A.S. un film militant sur la guerre d’Algérie
et l’insoumission, connut également un bon succès critique et commercial, on
salua le courage de Boisset pour avoir choisi un tel thème. Boisset passait
alors pour un cinéaste un peu gauchiste, et on avait du mal à le regarder sous
un autre angle. Folle à tuer avec
Marlène Jobert, grande vedette à cette époque fut un échec commercial et
critique. Boisset s’était pourtant basé sur le roman de Jean-Patrick Manchette
qui passait à l’époque pour un novateur en matière de roman noir, alors que
dans toute son œuvre il ne fit que recycler les vieilles recettes du film noir[4]. Sans
doute qu’on attendait un nouvel opus critique sur la société bourgeoise. C’était
un malentendu. Ce thriller, assez classique somme toute, était beaucoup moins
mauvais qu’on ne l’a dit. Certes il n’était pas très original, mais il avait
des qualités certaines sur le plan cinématographique. Dans l’ensemble, il ne
manquait pas d’intérêt.
Après ce film, il mit en scène Dupont Lajoie, en
1975, une très mauvaise critique du petit peuple « franchouillard »
marqué d’abrutissement. C’était très parisien cette maladie de croire que le
peuple est con et mauvais et qu’il faut l’éduquer. Cette grossière caricature
qui faisait passer les gentils nord-africains pour les victimes indirectes de
la concupiscence et de la sournoiserie d’un petit blanc, eut pourtant énormément
de succès, ce fut je crois le plus gros succès public en France de Boisset. La prestation
de Jean Carmet fut saluée comme exceptionnelle et le fit accéder à de nouvelles
possibilités. Boisset revint pourtant à la logique du film noir. Il tourna Le
Juge Fayard, dit le shérif, sur un scénario très vaguement inspiré par l’assassinat
du juge Reynaud à Lyon[5]. Ce
fut un vrai succès commercial. C’était d’ailleurs un très bon film noir, malgré
la présence du pâle Patrick Dewaere. Avec une très belle attaque de fourgon blindé
dans un tunnel.
Peut-être lassé du polar à la française, il tourna ensuite deux légèretés adaptées de romans célèbre, Un taxi mauve et La clé sur la porte. Ce furent encore de très bons succès publics, mais sur le plan cinématographique il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. En 1979, il revint au film noir, avec le très bon La femme flic[6]. Ce fut l’occasion de donner un bon rôle à Miou Miou qui, au cinéma, n’a jamais démontré grand-chose. C’était le thème de la pédophile et des édiles corrompus dans une ville en déshérence pour cause de désindustrialisation. La réussite de ce film tenait d’ailleurs plus à cette faculté d’utiliser les décors réels de la France du Nord qu’à l’histoire elle-même qui mêlait les ennuis entre une fliquesse et sa hiérarchie, et de sombres édiles de la ville qui se livraient à des détournements d’enfants à des fins sexuelles. Allons z’enfants, film antimilitariste d’après un roman d’Yves Gibeau, ne connu par le succès. Sans doute que les films à thèse étaient passés de mode.
Boisset revint à des formes plus traditionnelles et mieux
acceptées du grand public. Il réalisa Espion lève-toi. Film sur lequel
il intervint pour remplacer le réalisateur qui devait le faire. C’était un film
d’espionnage tout à fait ordinaire, mais avec de grands acteurs, Lino Ventura,
Michel Piccoli, Bruno Cremer[7]. Malgré
une intrigue passablement embrouillée, le film eut un succès honnête. Mais l’envie
semblait avoir quitté Boisset.
Le prix du danger, basé sur une nouvelle de science-fiction,
dénonçait les dérives de l’emprise de la télévision sur la mentalité des
populations. On parla en bien de ce film dans la presse, et le public fut au
rendez-vous. Canicule d’après un roman de Jean Vautrin, fut le dernier
rendez-vous d’Yves Boisset avec le public de cinéma[8]. Ce
film avait l’originalité de réunir en même temps Lee Marvin et Jean Carmet,
avec Miou Miou qui faisait de la figuration ! C’est un film qui n’est
certes pas un chef d’œuvre mais qui mérite d’être vu et même d’être réévalué les
oppositions entre la ville et la campagne, entre les Etats-Unis et la France donne
un cachet très particulier à une histoire somme toute assez banale. Après cela
Boisset ne retrouva plus le succès au cinéma. Les producteurs ne lui faisant
plus confiance il se tourna vers la télévision pour continuer son métier.
Ce bilan rapide montre qu’Yves Boisset fut un homme de bien. Il a laissé des sortes de mémoires en publiant un livre : La vie est un choix, publié chez Plon en 2011. C’est un ouvrage très intéressant pour mieux connaitre le personnage, mais c’est aussi une contribution à l’histoire du cinéma dans les années soixante-dix. Il mérite qu'on ne l'oublie pas.
[1] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/un-conde-yves-boisset-1970.html
[2] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/le-saut-de-lange-yves-boisset-1971.html
[3] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/lattentat-yves-boisset-1972.html
[4] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/folle-tuer-yves-boisset-1975.html
[5] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/le-juge-fayard-dit-le-sheriff-yves.html
[6] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/la-femme-flic-yves-boisset-1980.html
[7] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/espion-leve-toi-yves-boisset-1982.html
[8] https://alexandre-clement-films-noirs.blogspot.com/2025/01/canicule-yves-boisset-1984.html
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