Le sicilien, The sicilian, Michel Cimino, 1986

  

Le film raconte la vie brève et la mort tragique de Salvatore Giuliano, un jeune bandit sicilien dont Francesco Rosi avait déjà, en 1961, tiré un film profond et grave qui inaugura ce style si particulier du réalisateur américain, à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, mais toujours fondé sur une exactitude des faits et la volonté de dénoncer les conditions de l’exercice violent du pouvoir économique. Si le film de Rosi a atteint assez rapidement le statut de « classique », celui de Cimino est considéré comme extrêmement mauvais, voire ridicule. Ce jugement est hélas sans appel. Sans doute est-ce dans la manière dont a été conçu le film que la faute se trouve. Le scénario est basé sur un livre de Mario Puzo, l’auteur du Parrain qui a écrit quelques bons romans sur la mafia. On y retrouvera d’ailleurs des personnages de ce roman, comme Michael Corleone. Mais outre que la conception même du personnage de Giuliano est erronée, il s’inspire aussi un peu trop de Coppola pour sa mise en scène. On avait déjà remarqué la grande proximité du meilleur de l’œuvre de Cimino avec celle de Coppola, que ce soit dans Year of the dragon, ou que ce soit The deer hunter. Dans ce dernier cas il ne peut s’agir d’influence, puisque Apocalypse now  a été tourné après, ou en même temps que The deer hunter. L’appel à Mario Puzo comme support rend la proximité évidente. Mais si Mario Puzo est généralement un très bon romancier, il lui arrive aussi de rater complètement son coup, ce qui est le cas pour The sicilian.

The sicilian est peut-être le film le plus raté de Cimino. La première raison est sans doute que le personnage de Giuliano est représenté comme une sorte de Robin des bois qui vole les riches pour donner aux pauvres. Tous ceux qui se sont un peu intéressés au personnage savent que pour le moins il a été un des instruments de la mafia qui aidait les gros propriétaires terriens à lutter contre les petits paysans sans terre. Malgré son insolence et sa légende, ce n’est pas un héros des luttes prolétariennes. Du reste si Giuliano était en rébellion ouverte avec les autorités, il était plus proche des mouvements indépendantistes siciliens qui à l’heure de la Libération étaient appuyé par la mafia qui avait eu une mauvaise expérience de la centralisation des pouvoirs à Rome avec Mussolini.

Mais cela ne serait sans doute pas le pire si l’utilisation des faits et des décors n’était pas à côté de son sujet. Ce qui est sans doute le plus choquant ce sont les costumes. La vie de Giuliano se situe entre 1943 et 1950, soit une période de grande pénurie de biens. Or nous voyons des Siciliens très bien habillés, vêtus de chemises et de costumes taillés dans des tissus de qualité qui ne froissent pas. Certes les Siciliens, comme les Italiens, aimaient et aiment encore s’habiller au-dessus de leurs moyens, mais à cette époque beaucoup allaient nu-pieds, et il est douteux que le coiffeur en plein été reste sans un seul pli à sa belle chemise blanche !  La gabardine de Giuliano ressemble à ce qu’on peut voir dans un défilé de mode. Mais même si le vrai Giuliano aimait bien poser pour les photographes, il avait ce petit air voyou que Lambert n’a pas pu apprendre au conservatoire. 

L’autre critique majeure qu’on peut adresser à ce film est l’interprétation. Cela a été plusieurs fois souligné, tout le casting est mauvais, de Christophe Lambert à Terence Stamp en passant par Barbara Sukowa. Seul John Turturo dans le rôle du cousin à l’air d’y croire un peu. Il est étonnant de voir que les acteurs sont complètement livrés à eux-mêmes, comme si Cimino s’en était désintéressé. Evidemment Lambert dans le rôle de Giuliano est une faute majeure, il a trop le côté lisse d’un acteur bien nourri, mais ce n’est pas une raison pour le laisser sourire d’une manière imbécile. 

On remarquera qu’il y a des beaux plans, des belles images, toujours cette grande capacité à saisir la profondeur de champ, avec ces travellings-arrière dont Cimino avait le secret. Mais force est de convenir que dès qu’on commence à parler des « belles images » pour tenter de sauver quelque chose dans un film, c’est que le film est déjà perdu.  

On a souvent présenté Cimino comme la victime d’un système hollywoodien pour lequel il n’était pas fait. C’est un vaste débat, mais il semble que chaque fois qu’il a connu un échec majeur il y était aussi pour quelque chose. The sicilian vient juste après le bon succès de Year of the dragon qui était totalement maîtrisé, mais cela vient peut-être aussi du fait que Dino de Laurentis était également un grand producteur. Ce qui n’empêche pas qu’on aime bien tout de même Michael Cimino.

 Le vrai Salvatore Giuliano 



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