Girolimoni, il mostro di Roma, Damiano, Damiani, 1972
Il y a au minimum trois raisons de voir ce film. La première est qu’il est signé Damiano Damiani, selon mon gout personnel, un grand réalisateur de films noirs. La seconde est qu’il est interprété par Nino Manfredi, un acteur que j’aime beaucoup. Et la troisième est bien entendu le sujet. Qu’est-ce donc que ce sujet ? Une « histoire vraie », celle d’un homme qui est accusé à tort d’être un criminel pédophile. C’est donc le thème du faux coupable, thème récurrent du film noir. Thème bien connu pour The Wrong man d’Alfred Hitchcock qui avait marqué les esprits en partant lui aussi d’une histoire vraie, mais qui avait été gâché par une fin complètement édulcorée, présentant Manny Balestrero triomphant de l’injustice et reprenant sa place dans la société comme si de rien n’était, alors que Manny Balestrero n’avait connu par la suite que la misère et la désolation[1]. Le film, plutôt malhonnête, était sauvé du désastre à la fois par les qualités formelles de la réalisation, et l’interprétation d’Henry Fonda. Mais il avait touché un point sensible le thème du faux coupable parle toujours moins de la victime de l’erreur judiciaire ou policière que de la société en général et son niveau de tolérance. Dans l’esprit de Damiani, ce thème est lié au fascisme de type mussolinien. On a déjà vu ce genre de sujet avec Robert Siodmak, Nachts wenn der Teufel kam[2] où le contexte politique extrêmement tendu génère le crime. Mais bien entendu, le traitement est différent, grave et sinistre avec Siodmak, amer et dérisoire avec Damiani. Le pessimisme est toujours là bien entendu, mais il n’a plus la même couleur, ni le même habillage. Dans les trois films l’inspiration est dans une histoire vraie et pose la question des rapports entre la justice et le pouvoir, mais aussi celle de la perception de la justice que peut avoir la population à travers les différents médias qui l’informent.
À Rome dans les années vingt une série de meurtres de petites filles met la population en ébullition. La foule déchainée tente de lyncher un cocher accusé des meurtres, ne supportant d’être ainsi accusé, celui-ci se suicidera et mourra dans les bras du jeune Tarquinio. En vérité ce Tarquinio est l’assassin, mais il es protégé par sa mère et sa femme qui sont les premières à hurler contre le monstre de Rome. La presse est déchainée, et elle appelle le pouvoir fasciste à prendre des mesures, la police est sur les dents. Mais d’autres meurtres ont lieu. Dont un qui est commis juste à coté de chez Tarquinio. Cependant la police fait des rafles, interroge les misérables qu’elle ramasse, sans résultat. Le salut va venir d’un homme dont l’épouse le trompe avec Girolimoni qui va le dénoncer par le biais de sa jeune femme de chambre que Girolimoni a raccompagnée avec sa voiture. Pendant ce temps, un attentat contre Mussolini a eu lieu, et on promène le corps martyrisé d’Anteo Zamboni dans les rues de la ville. Girolimoni est un malin, il gagne de l’argent en rabattant des clients pour les avocats, en allant à la morgue trouver de nouvelles affaires. Il aime à se déguiser, il a une belle voiture jaune et a beaucoup de succès auprès des femmes. Il gagne bien sa vie
Le cocher accusé du meurtre d’une fillette s’est suicidé en avalant du vitriol
Ayant été dénoncé, Girolimoni va être approché puis interrogé par le brigadier Apicella qu’il a connu au régiment pendant la guerre. Girolimoni au début ne prend pas cette accusation au sérieux, mais comme la police a besoin d’un coupable, Apicella pense qu’il fera l’affaire. Cependant, les témoignages ne correspondent à rien. Manifestement les témoins mentent, l’un pour toucher la prime, l’autre par simple gout du mensonge, ou encore pour se venger de sa femme qui le fait cocu. Les policiers s’affrontent, Parrini tente de démontrer que l’accusation ne tiendra pas. Mais le chef de la police s’obstine et on annonce finalement que le monstre de Rome a été arrêté. Le brigadier Apicella va recevoir une promotion pour son travail. Mais bientôt, il apparait que devant un tribunal le procès risque de tourner à la pantomime. Donc on décide devant la faiblesse des accusations d’élargir, Girolimoni. Les journaux sont priés de taire cette information, tandis que Di Meo le journaliste va tenter de démontrer que Girolimoni est innocent. Cependant la vie de Girolimoni ets foutue, on lui interdit d’utiliser son nom pour continuer ses affaires. Il tente de faire pression sur la police en emmenant une petite fille au cinéma. Mais il abandonne cette idée et il se met à boire. Di Meo cependant vient le sortir de sa torpeur et lui explique qu’il a découvert la piste d’un prêtre anglican qui s’intéresse aux petites filles. Mais cette piste tournera court elle aussi. Tarquinio de son coté est devenu complètement gâteux. Après la guerre, Girolimoni va tenter d’intéresser d’autres personnes à son aventure, mais sans succès, il sombrera dans la misère.
Un nouvel enlèvement a eu lieu
Il faut d’abord préciser que le scénario prend beaucoup de liberté avec la réalité. En effet, le film est écrit pour nous démontrer la culpabilité de Tarquinio et l’hypocrisie de sa famille qui le protège. Or cette série sanglante de meurtre n’a jamais été résolue et la famille de Tarquinio n’a jamais été soupçonnée de quoi que ce soit. La piste du pasteur anglican qui dans la réalité a été interné dans un asile psychiatrique puis a été évacué vers l’Angleterre, n’a jamais été complètement abandonnée. Le policier qui a travaillé à élargir Girolimoni s’appelait Giuseppe Dosi, et non Parrini, et il a écrit un livre sur cette affaire. Il en avait été écarté et ne retrouvera sa place dans la police qu’après la chute de Mussolini. Du reste même si après la Libération Girolimoni avait été déclassé sur le plan social, ce n’était pas du tout un clochard. Mais laissons là les querelles de ce type, les biopics ne sont jamais fidèles à la réalité. Le scénario que Damiani a concocté avec Fulvio Gicca Palli et Enrico Ribulsi, deux écrivains avec qui il avait déjà travaillé, est tout de même très solide, quoi qu’on puisse lui reprocher un certain nombre de choses. D’abord bien sur la fin qui n’est pas satisfaisante, un peu trop abrupte, mais il était difficile de trouver autre chose pour montrer que la chute du fascisme n’avait certainement pas régler tous les problèmes, et encore moins ceux de Girolimoni. Ensuite, le fait que Tarquinio soit désigné tout de suite comme l’assassin en série, outre que cela érode le suspense, elle personnalise un peu trop l’hypocrisie de la société.
La police enquête
Damiani disait que c’était là un de ses films préférés et on le comprend tout à fait. Il tente de montrer en parallèle l’évolution du fascisme et de la criminalité ordinaire qui semble n’avoir pas de raison d’être en dehors d’elle-même. Sans trop de pédagogisme, on comprend tout à fait que le crime est non seulement un complément du fascisme, mais qu’en outre il justifie les tendances répressives du régime contre ceux qui auraient tendance à s’écarter de la ligne. On voit également comment le fascisme se sert d’une presse doublement coupable, qui va s’appliquer à exciter les populations contre des crimes évidemment affreux, mais aussi, quand ça l’arrange, de mettre des faits sous l’étouffoir. De ce point de vue rien n’a changé, sauf que sous Mussolini la ligne était directe entre le pouvoir et les journalistes, alors qu’aujourd’hui ces derniers ont intégré une forme d’autocensure pour se rapprocher du pouvoir. Il y a donc une mise en cause du fascisme, et Damiani va dresser le parallèle entre les assassinats de ces petites filles et le corps d’Anteo Zamboni qui est promené dans la ville pour effrayer les populations qui hésiteraient à se ranger derrière le nouveau pouvoir.
Anteo Zamboni a été tué par les fascistes et promené dans la ville
Au fond Damiani s’intéresse moins au tueur en série et aux crimes qu’à l’attitude du corps social face à ce traumatisme. Le pouvoir et la presse cherchent à manipuler la peur pour des intérêts obscurs. C’est la lâcheté de la foule et des corps constitué qui est le vrai sujet, car si un pouvoir aussi détestable que celui de Mussolini arrive à s’installer durablement, c’est bien parce que le corps social ne réagit pas à toutes les petites entorses à la décence qu’il a fallu mettre en œuvre pour y arriver. Apicella ajoute à la lâcheté, la jalousie. C’est en effet lui qui va choisir de faire de Girolimoni le bouc émissaire, le reste c’est la bureaucratie ordinaire qui opère. Le juge voit bien les manoeuvres d’Apicella pour impliquer Girolimoni, mais il laisse faire, parce que le pouvoir exige un coupable. Mais le film s’interroge aussi sur la culpabilité réelle dans le crime, à commencer par la presse bien sûr qui attise le feu et la haine, les journalistes qui se couchent et qui acceptent de s’inscrire au parti fasciste pour conserver leur emploi, mais aussi sur les responsabilités de la famille. Tarquinio est sans doute un demeuré, mais pourquoi la famille accepte-t-elle de le couvrir ? Pourquoi son père ne s’oppose-t-il pas plus violemment à sa femme pour que cesse ces crimes ? De même la petite fille se fait tuer parce que ses parents l’ont mise dehors sous la pluie où elle grelote afin de pouvoir baiser à leur aise. Tous coupables pourrait être la devise de ce film. L’aspect hiérarchique est également souligné, notamment cette petite jeune fille que ses patrons forcent à témoigner contre Girolimoni, le mari lui tordant les doigts pour lui faire dire ce qu’il veut entendre.
Pendant que leurs parents baisent, les enfants sont à la rue sous la pluie
La réalisation est très soignée, et la photographie de Marcello Gatti est tout à fait remarquable. Ce grand photographe qui travaillera beaucoup avec des réalisateurs très marqués à gauche comme Gillo Pontecorvo, donne beaucoup de lustre à cette reconstitution historique. Si le poliziottesco est souvent illustré par une photographie qui donne dans les tons tirant sur le beige, des tons pastellisés, ici cette tonalité qui se marie si bien avec les vieilles pierres, et rehaussée avec des contrepoints plus soutenus, rouge ou vert qui donne une allure picturale à l’ensemble. La misère est très travaillée et perceptible, dans les habits usés, les portes branlantes, les immeubles vétustes, à l’opposé de l’architecture mussolinienne massive et de prestige qui au fond ne s’occupait guère de lutter contre la pauvreté. Il y a ici un devoir de vérité, de mettre les âmes à nu, les corps sont fatigués, gros, relâchés, comme s’ils reprochaient au bien-portants leur aspect sec et élégant.
Tarquinio a encore tué
La réalisation proprement dite exploite parfaitement les décors, même si ici et là Damiani abuse des plans à la grue. Il y a de belles séquences avec des enfilades de pièces et des plans en pied qui donne de la profondeur. Plusieurs séquences sont remarquables, par exemple les enfants chassés de chez eux et qui se retrouvent sous la pluie. Les longs corridors où attendent les témoins qui vont être interrogés. Le suicide dramatique du cocher qui avale une bouteille de vitriol au milieu de la rue. J’aime beaucoup la séquence qui se passe dans le ventre du journal à la salle de tirage où dans une semi-obscurité, Girolimoni tente de s’expliquer avec Di Meo.
Un nouveau cadavre est découvert
Cette histoire est horrible, et ce caractère horrible est encore un peu plus évident avec le défilé des stropiats et des malades qui doivent montrer leur bite au docteur pour voir si ça pourrait correspondre avec ce que peut faire ou tenter de faire le criminel. D’ailleurs l’histoire baigne dans une atmosphère assez malsaine par rapport à la sexualité. Les « savants » ont théorisé que le violeur avait un complexe d’infériorité, et donc qu’il devait posséder forcément une petite bite. Manque de pot, Girolimoni est plutôt bien équipé de ce côté-là ! Tant pis, qu’à cela ne tienne on passera outre la théorie. La scène où Apicella amène Girolimoni assiter à m’exécution d’un anarchiste est un contrepoint aux crimes de Tarquinio, mais aussi un avertissement à tous ceux qui regimbent et ne comprennent pas la force de la nécessité de la révolution. La scène de la morgue est également très bien filmée parce que, sans montrer directement le corps supplicié de la petite fille, on en ressent toute la puissance de la tragédie entre ce corps recouvert d’un drap trop court et Girolimoni qui discute de ce crime avec un officiant qui s’occupe des cadavres. Les couleurs bleutées, mais ternes et froides, ajoute à cet aspect sinistre.
La police continue ses rafles et interroge des pauvres hères
Damiani est un bon directeur d’acteurs. Ici ils sont choisis plus par leur proximité avec le rôle qu’à cause de leur notoriété. Nino Manfredi est à cette époque au sommet de sa gloire. C’est un excellent acteur, trop sous-estimé. Il est ici Girolimoni, il l’incarne parfaitement en ce sens qu’il en possède d’abord l’arrogance, se croyant plus malin que le système, puis ensuite il est complètement désemparé, ne sachant plus trop quoi faire, mais refusant de se plier à une logique de vengeance qui reproduirait ce que les autres lui ont fait subir. il n’apparait cependant qu’après une demi-heure, Damiani préférant d’abord exposer longuement le contexte social et politique. Le cœur de son interprétation est son affrontement avec le brigadier Apicella qui lui est interprété par Guido Leontini, un sicilien, acteur de théâtre du répertoire, mais souvent cantonné au cinéma à des rôles de tordus. Il est très subtil. La mère de Tarquinio est incarnée par une maitresse femme, Anna Maria Pescatori. Elle n’a pas fait une grande carrière, mais sa stature imposante, son verbe haut, lui donnent une autorité naturelle sur sa famille !
La menteuse va dénoncer Girolimoni
Derrière c’est un petit peu moins bien, Orso Maria Gerrini qui incarne le journaliste un peu velléitaire Di Meo, en fait parfois un peu trop. Gabriele Lavia est le sinistre Tarquinio. Il est plutôt pâlichon dans ce rôle de psychopathe compulsif. Il sourit un peu à contretemps. Luciano Catenacci dans le rôle de Mussolini, n’y est pas du tout. Les policiers sont les plus convaincants, avec les tenanciers de bistrots.
Un journaliste tente de reprendre l’affaire
Le film a été un bide commercial, je ne sais même pas s’il a été diffusé en France, et à mon sens il est temps de le réhabiliter. C’est un très bon film, excellement réalisé, produit par Dino De Laurentiis, il y a manifestement des moyens.
A sa sortie de prison Girolimoni va essayer de se faire réhabiliter
Curieusement ce film qui possède de belles qualités esthétiques n’est pas disponible sur le marché français. Pour le voir, il faut se procurer un Blu ray en Italie, ou alors se contenter de la copie assez médiocre qui traine sur Internet. Il serait temps de réparer ce manque !
Pour faire pression sur la
police Girolimoni a emmené une petite fille au cinéma
Girolimoni n’a plus d’argent et s’est mis à boire
Girolimoni et le journaliste
soupçonnent un prêtre anglais
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