La fureur d’un flic, La mano spietata della legge, Mario Gariazzo, 1973
Voilà un poliziottesco oublié de tous, mais qu’il est intéressant de retrouver. Mario Gariazzo est un réalisateur à la cinématographie assez restreinte, et en plus les rares films qu’il a dirigé sous son nom ou sous un pseudonyme pour faire américain ne se distinguent pas vraiment par leur inventivité stylistique. Cependant comme en 1973 nous sommes en pleine vague du poliziottesco, il mérite l’attention. Comme on l’a répété très souvent, le poliziottesco et son succès est lié à la décrépitude de l’État italien à cette époque et les échos qu’en ont perçus les autres pays occidentaux – sauf paradoxalement en France où la critique et les distributeurs ne voyaient le cinéma italien que par le biais du cinéma d’auteur. Contrairement au giallo, l’autre branche du film noir italien, il est en prise directe sur une réalité immédiatement perceptible. Il est donc d’une manière ou d’une autre un commentaire politique indirect sur l’Italie des moroses années soixante-dix. Mario Gariazzo est l’auteur complet de ce film dont il a écrit aussi le scénario. Film à petit budget, c’est une des rares productions dans laquelle Philippe Leroy, acteur français exilé depuis des années en Italie pour des raisons politiques, ancien parachutiste militaire, il était un soutien de l’OAS et militait pour l’Algérie française, tient le rôle principal.
À l’aéroport de Fiumicino Vito Quattroni est venu attendre le tueur
À l’aéroport de Fiumicino, Vito Quattroni attend un tueur dépêché des Etats-Unis. Sa mission va être de tuer un boss de la mafia qui est emprisonné et qui menace de faire des révélations à la justice. Le tueur endosse un uniforme de l’armée américaine afin de pouvoir pénétrer dans l’hôpital où sa cible est soignée. Avec sang froid il abat le mafieux et l’infirmière qui le soignait à l’aide d’un pistolet muni d’un silencieux. Ensuite il s’en va tranquillement avec une voiture en compagnie de deux truands. Avant de rejoindre un relais sur l’autoroute, il fait sauter la voiture où il se trouvait afin de ne laisser aucun témoin derrière lui. Tandis que la police s’interroge sur l’identité des assassins, les policiers commencent aussi à examiner les vidéos enregistrées à l’aéroport, afin de repérer d’éventuels tueurs. Ils arrivent à comprendre que le tueur est venu de l’étranger. Pendant ce temps Vito Quattroni élimine les témoins potentiels qui ont aperçu le tueur à l’aéroport. Lilly Antonelli est une amie d’une fille qui a justement repéré un suspect à l’aéroport. Quand elle apprend la mort de sa colocataire, elle panique. Les policiers l’interrogent et ils arrivant ainsi à comprendre le rôle qu’un flirt de Lilly a joué dans cet assassinat. Ne connaissant pas son vrai nom, les policiers vont retrouver sa piste grâce à une amende qu’il a récoltée. Le commissaire De Carmine se fait fort de le faire parler en le brutalisant. Et il y arrive. Mais pendant ce temps Vito Quattroni a enlevé Lilly, celle-ci manque de se faire violer par un membre de la bande, Quattroni le tue et dans la foulée il va aussi tuer Lilly.
Un tueur déguisé en soldat
américain va tuer un boss de la mafia qui s’apprêtait à parler
Le témoin que De Carmine a fait parler va être cependant lui
aussi abattu par un tireur d’élite, placé sur le toit, en face du commissariat.
Mais De Carmine retrouve un autre membre du gang et arrive à le faire parler.
Il est maintenant sur la piste du tueur. Il va cependant être intercepté par
les mafieux qui vont lui donner une rouste mémorable. Mal en point, De carmine
continue son enquête et comprend qu’un des policiers de son commissariat
renseigne la mafia. Il le fait arrêter. Après une course poursuite assez
longue, il va finir par arrêter Vito Quattroni. Il le fera parler avec la même
méthode forte qui lui est si particulière et que le juge lui reproche. Il va
comprendre que derrière ces meurtres se cache un vaste réseau qui recycle sous
la direction du professeur Palmieri l’argent sale de la mafia en investissant
en bourse, en achetant les actions à bas prix, et en les revendant au prix
fort. Mais alors que De Carmine touche presqu’au but, sa femme Linda va être assassinée. Le
juge qui supervise son enquête va le dessaisir et le faire muter à Milan. On
comprend que lui aussi participe de cette forme de pouvoir occulte qui use de
la violence pour accroitre ses profits.
Le tueur a fait exploser la voiture qui l’avait évacué
Il y a bien entendu beaucoup d’invraisemblances dans ce scénario. D’abord parce qu’on ne comprend pas pourquoi les hommes de la mafia se contentent de frapper De Carmine au lieu de le tuer, ensuite pourquoi ils tuent Linda. Les risques que prend le tueur Vito Quattroni paraissent aussi plutôt inconsidérés. Mais ces ellipses sont un peu la loi du genre et existent pour stimuler l’action. Car c’est un film d’action, le rythme ne doit pas baisser. Il faut qu’il se passe en permanence quelque chose de violent à l’écran. Et les rares scènes d’apaisement entre De Carmine et sa femme qui devraient apparaitre comme une sorte d’apaisement, semblent assez superflues, trop bavardes comme commentaires sur ce qui se passe dans la tête du commissaire. Les poursuites en voiture, les tabassages en règle des gangsters s’enchainent dans une suite presque sans fin, au risque de la répétition. On peut passer outre ces défauts scénaristiques et se laisser porter par l’action.
Vito Quattroni assassine une femme qui l’a vu à l’aéroport
Il y a plusieurs thèmes qui alimentent cette histoire assez simple et linéaire. Ces thèmes sont très courants dans le poliziottesco de ces années-là. Il y a d’abord l’idée qu’à côté de l’État légal et légitime, il existe une forme de pouvoir occulte qui investit l’administration et la contrôle d’une manière indirecte, soit en achetant des juges et des policiers, soit en exerçant une violence féroce qui empêche les citoyens de se rebeller. L’assassinat d’Aldo Moro viendra confirmer cette dérive. Face à cette situation où la criminalité n’est plus sous contrôle, De Carmine est un homme seul qui va se lever contre cette injustice. Il est relativement isolé, soit parce que les uns ont peur, soit parce que les autres sont corrompus. Seul contre tous, il représente non pas l’ordre, mais la morale et la conscience. Mais sur le plan concret, il va être obligé de violer la loi. Autrement dit on ne peut pas combattre la pieuvre qui a investi l’administration en respectant la loi qui est détournée pour servir le désordre. De Carmine revendique de violer la loi pour obtenir des résultats, et il en obtient ! Mais derrière cette réalité assez simple, il y a encore autre chose, d’abord le fait que De Carmine est çà moitié cinglé, et manque de discernement, c’est-à-dire qu’il fait de cette affaire une affaire personnelle qui l’empêche de dormir et qui va entrainer la mort de sa femme. Il n’y aura donc aucun triomphalisme, contrairement aux films américains de vigilante.
Les policiers tentent de rassurer Lilly Antonelli
Très souvent le poliziottesco est l’occasion de portraiturer des vaincus. Et manifestement De Carmine est un vaincu. Il a tout perdu. La fin est complètement pessimiste. On peut en tirer la conclusion que sa défaite c’est aussi sa gloire parce qu’il a été seul à mener ce combat. La société ne réagit pas à son effondrement. C’est là le message politique si on veut de ce film. Évidemment face à cette démission collective, cette corruption, il n’est pas facile de trouver un comportement juste et moral. Le film verse alors dans une sorte de réflexion sur la violence, sans forcément y apporter une solution. La violence de De Carmine est-elle la même que celle des mafieux ? Est-elle la seule solution ? L’impuissance de la police à découvrir les coupables est l’autre face de l’élimination progressive des témoins. Cette police est responsable de ces innocents assassinés, y compris la femme de De Carmine.
Le commissaire tente de faire parler le petit ami de Lilly
Mais la mafia est présentée comme une organisation
rationnelle, une sorte de capitalisme sauvage qui vise à générer le maximum de
profits. Il y a donc une relation de cause à effet entre ces meurtres, ce
contournement de la loi et la cupidité des organisations criminelles. Les
Italiens, et donc leurs réalisateurs, ont souvent regarder la mafia comme une
sorte de système capitaliste presque chimiquement pur. C’est comme ça
d’ailleurs que Roberto Saviano analysera la Camorra dans on célèbre ouvrage, Gomorra[1].
En même temps cette vision de la criminalité organisée dévoile l’essence même
du système capitaliste. Pour cela il est assez difficile de penser que le
poliziottesco, et celui-ci en particulier, est une simple propagande pour
l’ordre et la répression. On verra d’ailleurs une mafia moderne à l’écran, un
homme respectable, le professeur Palmieri, calculer pour investir en bourse et
faire du profit, c’est une sorte d’intellectuel froid, entouré de toute une
batterie d’ordinateurs qui pour l’époque sont le sommet de la technologie.
Cette modernité fait face d’ailleurs à l’archaïsme de la police, mais aussi à
celui des petites mains de la criminalité qui payent toujours les pots cassés.
Le professeur Palmieri est intouchable et dirige tout de loin. Ce n’est pas le
cas des psychopathes qu’il emploie. Remarquez que si la mafia, pour brouiller
les pistes, emploie des tueurs venus d’outre-Atlantique, c’est la preuve du
pouvoir de cette sorte de multinationale.
Un tireur se charge de flinguer le témoin
De Carmine est un homme seul, en butte avec sa hiérarchie, incapable de s’occuper correctement de sa femme, il enrage et s’aigrit à cause de son impuissance. Ce qui explique d’ailleurs une partie de sa violence, comme si elle devait nécessairement se retourner contre lui, avec son assentiment. Se doute-t-il que son combat est perdu d’avance ? C’est ce qu’il semble. Il comprendra trop tardivement que non seulement un de ses adjoints livrent des indications à la mafia, mais qu’en outre le juge corrompu fait partie de l’administration parallèle de la société italienne et même au-delà. Le film décrit cette part d’insouciance de la société qui laisse prospérer la mafia, les filles qui ne pensent qu’à s’amuser, il représente cette modernité qui se déresponsabilise de tout. Lilly sort avec un individu qu’elle ne connait pas, elle ne sait même pas son adresse ! Mais elle aime sortir dans les boites de nuit et s’amuser. C’est moderne et libéré !
La réalisation a été considéré comme paresseuse, pas au niveau. Ce n’est pas tout à fait vrai. D’abord il y a des scènes d’une grande violence – surtout pour l’époque – il y a d’abord le commissaire qui tabasse des voyous d’une manière cruelle pour les faire parler. C’est très dur, et cette violence qui voit un homme attaché, coincé par la police, dérouiller, rappelle un peu la scène du film de Melville, Le deuxième souffle qui voyait Ricci soumis à la torture de l’eau, puis on voyait Gu qui à ce spectacle inhumain régissait pour tenter d’y mettre fin. Ici ce sont les autres policiers qui détournent leur regard, laissant au seul De carmine la responsabilité de maltraitance du truand arrêté. Il y a donc ces scènes répétées des exactions du commissaire. A cette maltraitance répond d’abord le tabassage en règle de De Carmine par les truands. Mais aussi cette scène ultra-violente qui voit Vito Quattroni bruler les couilles du truand qui tente de violer Lilly, puis qui tue Lilly.
Il y a aussi, comme dans tout bon poliziottesco, une longue poursuite en voiture qui aboutira à l’arrestation de Vito Quattroni. Elle n’est guère remarquable, mais surtout le décor des rues romaines n’est pas très bien utilisé. C’est dommage, mais c’est la conséquence d’un manque évident de moyen. Il y a par contre énormément de scènes tournées en studio, les scènes du commissariat, celles de la boite de nuit qui donne un petit caractère étriqué à l’image et qui donc limite les longs travellings, ou une plus grande mobilité de la caméra. Les scènes à l’aéroport, au début, sont bonnes, Gariazzo utilise assez bien la verticalité des étages, plongées, contreplongées, et il met en scène de façon convaincante cet anonymat du lieu et de la foule, comme une forme de modernité délétère qui absorbe les personnalités et les dissout dans la masse.
L’ensemble est filmé suivant le format 1,85 :1. Ce qu’on appelle le format américain, soit l’intermédiaire en dessus du standard européen, 1,66 :1, et bien sûr en dessous du format Panavision. qui est plus utile pour magnifier les vastes paysages. Les couleurs sont assez peu travaillées, et le cadre n’est pas toujours très adroit, notamment dans les scènes où les policiers discutent entre eux. Le film est assez court, un peu plus d’une heure trente. Mais il est très nerveux et le rythme est soutenu. On peut considérer aussi que Gariazzo multiplie inutilement les plans des scènes des femmes, histoire de nous faire croire que les femmes ont dans ce film une quelconque importance, mais aussi d’aguicher le client !
De Carmine a été capturé et tabassé
Le film est porté par Philippe Leroy, ancien militaire et parachutiste, il a une aisance naturelle dans les scènes d’action. Maigre et raide, mais nerveux, on croit tout à fait à sa violence. Il est bon, avec sa gueule un peu cassée et son physique assez atypique. Derrière lui il y a Klaus Kinski dans le rôle du tueur Vito Quattroni. Celui-ci qui s’est toujours pris pour un grand acteur, mais qui n’a vraiment été intéressant que chez Werner Herzog, et encore, n’a pas grand-chose à faire et il n’a pratiquement pas de dialogue à prononcer. Sans doute les réalisateurs qui l’engageaient en Italie dans des films de genre pariaient sur son physique tourmenté. Mais il n’y a pas de performance particulière de sa part.
Les femmes sont assez négligées, à commencer par Silvia Monti qui, dans le rôle de Linda, la femme de De Carmine n’a pas grand-chose à faire à part montrer ses nichons et donner trois lignes de texte. Pia Giancaro, une belle sicilienne, est la martyrisée Lilly. Elle n’est pas mal du tout, convaincante quand elle pleure. Abonnée à des petits rôles dans le cinéma de genre, elle avait participé à des concours de beauté, et elle aussi exhibe de très jolis seins ! Il y a cependant des noms un peu plus connus au générique. Cyril Cusack dans le rôle du juge corrompu. À cette époque il semblait se plaire en Italie et il multipliait les petits rôles dans des dizaines de films. Ici il est assez insignifiant. Plus intéressant est Guido Alberti qui incarne le professeur Palmieri. C’est toujours un bon acteur. Du côté de la police on retrouve des habitués du poliziottesco, Sergio Fantoni dans le rôle de Musante, ou encore Fausto Tozzi, le traitre Nicolo. Ils sont tous les deux justes.
Si ce n’est pas un chef d’œuvre bien sûr, mais c’est un bon film, bien meilleur que ce qu’on a avancé au moment de sa sortie. Il vaut pourtant le détour. C’est un film par ailleurs difficile à trouver dans une bonne qualité. Il en traine quelques copies passables sur Internet. Par contre la musique, signée Stelvio Cipriani qui pourtant n’a rien d’extraordinaire, se trouve facilement de partout.
Linda a été assassinée
[1] Gallimard,
2006. Cet ouvrage fut un succès planétaire, il sera à l’origine d’un film et d’une
série télévisée de cinq saisons et 58 épisodes.
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